Bruce Brown est un metteur en scène spécialisé dans le documentaire sportif, dont l’oeuvre la plus connue est certainement The endless Summer sortie en 1966, qui suivait 2 jeunes surfers s’adonnant à leur passion à travers le monde. Brown est un spécialiste du surf, puisqu’il y a consacré pas moins de 9 films, mais il s’est aussi intéressé à la moto, avec notamment ce Challenge One (dont le titre original est On any Sunday) sorti en 1971, considéré comme le meilleur documentaire sur ce sport.
Challenge One dresse un portrait à la fois sérieux, drôle et poétique sur le monde de la moto en ce début des années 70. Il nous présente les stars du moment de la discipline, comme Mert Lawwill, David Evans, Malcolm Smith, ou encore Steeve McQueen, qui était un passionné et un coureur amateur capable de taquiner les plus grands. On replonge dans la frénésie de l’époque où les courses de motos rassemblaient les foules, et on assiste à des luttes où le danger est toujours présent. Bruce Brown nous plonge dans le quotidien des pros du circuit, qui sillonnent les routes d’Amérique et du monde, afin de se retrouver dans la poussière, dans la terre, dans la boue ou sur la glace afin de prouver qu’ils sont les meilleurs.
Mais au-delà de la recherche des titres, Bruce Brown révèle un véritable mode de vie, et nous montre comment tous ces sportifs vivent leur passion à fond. Car si le résultat est important, c’est surtout la sensation de liberté qui grise ces coureurs, pour qui le temps est suspendu lorsqu’ils prennent le départ. En conjuguant les séquences à vitesse réelle et les ralentis, Bruce Brown nous montre toute l’intensité que revêt ce sport, et on y découvre ce qui le rend si addictif. Il nous lance à la poursuite de ces pilotes à toute vitesse, et prend le temps de visualiser des séquences au ralenti qui nous révèlent des détails très intéressants. C’est assez paradoxal de mettre en avant la puissance de ces cylindrées en les présentant au ralenti, mais Brown crée du coup une sorte d’étirement du temps dans lequel la beauté de la discipline prend tout son sens. Il rejoint en quelque sorte la vision d’un Godfrey Reggio sur son sublime Koyaanisqatsi, et une certaine poésie se dégage alors de ces images brutes de prime abord.
Challenge One va nous faire découvrir les multiples courses existant aux USA, et quelques-unes dans d’autres pays. On va suivre le championnat qui se déroule sur 8 mois, et durant lequel les coureurs quittent leur famille pour aller d’un circuit à l’autre. On va arpenter le bitume des villes qui organisent leurs propres courses, les immensités désertiques où les coureurs peuvent rester perdus des heures, le marathon d’une course espagnole se déroulant sur 6 jours et dont les règles sont très strictes, les courses sur glace par -30 degrés au Canada, où les pneus sont munis de crampons impressionnants, et très dangereux lors d’une chute, etc… On découvre aussi des engins très particuliers lors de courses de vitesse pure, comme une sorte de skate propulsé, ou une bombe désossée et reconvertie en 2 roues… Bruce Brown nous fait vivre le temps d’un film l’existence parfois solitaire, souvent fraternelle, qui est celle d’un pilote de moto, et il use d’un regard lucide qui laisse transparaître beaucoup d’émotions.
Au-delà des courses de moto, c’est une époque que Brown radiographie à travers son objectif, celle du début des années 70, où l’insouciance des 60’s traîne encore, et il y a dans ce film une force attractive faite de nostalgie et de beauté visuelle. Challenge One ne se contente pas d’énumérer les différents types de course existantes, il nous les fait vivre avec toute la passion qui anime Bruce Brown, qui sait capter les instants importants et surtout, les mettre en valeur par son talent de metteur en scène. On découvre les personnalités des coureurs, comme Malcolm Smith, qui a pour particularité de concourir dans toutes les catégories possibles, et qui a pour seconde particularité de ne jamais se départir de son sourire légendaire! Il représente de manière typique l’esprit qui anime ce sport, et le plaisir qu’il y prend est bien supérieur à la fatigue et aux difficultés qu’il endure! On suit également Steeve McQueen qui s’inscrit incognito dans les courses, mais sera finalement reconnu par des spectatrices surexcitées…
Challenge One est un documentaire de haute volée, qui aura une suite en 1981 (On any Sunday II sous la direction d’Ed Forsyth et Don Shoemaker) et une autre en 2014, qui est sortie fin mars, On any Sunday: the next Chapter, sous la direction du fils de Bruce Brown, Dana Brown. La boucle est bouclée…