(Reprise de la critique rédigée à la sortie du film en 2009 sur l’ancien
Talking Wade)
Les images furtives que l’on avait pu voir dans X-Men 2 concernant le projet Weapon X avaient de quoi mettre l’eau à la bouche, en parvenant à créer une dimension mythologique à cette période de la vie de Wolverine. Il s’agissait simplement de la genèse du héros, de la création tortueuse et douloureuse de celui qui allait être amené à devenir un des X-Men au potentiel le plus riche. Le comics L’Arme X signé Barry Windsor-Smith mettait bien l’accent sur le retour à la bestialité, sur les souffrances extrêmes vécues par Logan lors de sa « reconstruction », et sur l’aspect résolument pessimiste qui ressortait à la fois d’une histoire puisant son inspiration dans les tragédies grecques et d’un style graphique aux tonalités volontairement ternes. La conjonction de ces deux aspects donnait naissance à une œuvre forte qui se nourrissait intelligemment de l’attente des lecteurs et leur offrait enfin des révélations sur les origines de Logan.
La volonté actuelle du cinéma américain de se tourner vers le prequel est à la fois excitant et dangereux ; excitant dans le sens où on nous promet la visualisation d’une période mystérieuse que l’on ne peut que fantasmer ; dangereux car la matérialisation de cette période va être une fois pour toute gravée, et qu’elle risque d’effacer l’aspect onirique et mythique qui pouvait s’en dégager. Découvrir la jeunesse d’Hannibal Lecter annihile l’aura mystérieuse du personnage, et ne constitue pas forcément une étape indispensable dans la série. Dévoiler les origines de Michael Myers prend aux tripes, et accentue l’aura mythique du boogeyman en lui conférant une dimension tragique qui n’existait pas dans la première série. Tout dépend donc du point de vue et du respect des personnages, et du talent des artistes décidant de faire découvrir leurs origines.
En ce qui concerne Wolverine, l’évocation de Weapon X est forcément réductrice par rapport aux comics et aux attentes suscitées par des décennies de mystère. Cinématographiquement, les producteurs ont quand même attendu 3 films avant de traiter ce thème frontalement, et cette retenue n’était pas forcément un mauvais choix, toujours d’un point de vue symbolique. Aujourd’hui, le fait de révéler de manière frontale la création de Wolverine est forcément décevante, puisqu’elle est visuellement beaucoup plus pauvre que ce que le spectateur pouvait fantasmer. L’aspect résolument dramatique qui se dégageait des scènes concernées dans X-Men 2 possédait un potentiel beaucoup plus fort que ce X-Men Origins : Wolverine. Là où la trilogie X-Men s’intéressait d’abord à la psychologie des personnages et où leurs pouvoirs étaient une extrapolation de ces psychés (même dans le 3, j’ose le dire !), ce X-Men Origins : Wolverine fait basculer le point de vue en privilégiant l’action à la psychologie. Un choix commercial qui peut se voir aussi comme la preuve d’une peur à l’idée de ne pas être à la hauteur…Il est donc dommage que les personnalités des protagonistes, à commencer par Wolvie lui-même, soient traitées avec si peu d’enjeux dramatiques. Les événements se suivent de manière automatique, et répondent davantage à l’appel du sensationnel que de l’émotionnel . Le Logan du film est nettement moins intéressant que celui de la trilogie X-Men, et Hugh Jackman doit se dépêtrer avec un scénario qui ne l’avantage pas.
Si l’on évalue ce film à l’aune de ses 3 prédécesseurs, il ressort donc perdant d’un point de vue dramatique. Alors qu’en reste-t-il ? En fait pas grand-chose, car passée la satisfaction d’avoir pu découvrir une galerie de personnages connus (Gambit, un Cyclope adolescent, Dents de Sabre…), on se rend compte que l’ensemble manque cruellement de cohérence, et que les scènes d’action ne sont pas aussi spectaculaires que le laissait présager la bande-annonce. Pourtant, Liev Schreiber en Dents de Sabre, le choix est plutôt bon. Mais qu’en est-il du personnage le plus important du film ?
Et bien le traitement infligé à Deadpool à de quoi surprendre. Ryan Reynolds se glisse dans la peau de Wade Wilson avec une certaine aisance, et le fait de le voir très peu dans le métrage permet de créer un effet d’attente plutôt bienvenu. Reynolds balance des vannes et joue de la lame avec aisance, et même si l’on n’est pas encore dans le registre du comics déjanté, on sent la filiation et le potentiel du personnage. Le traitement causé par le programme Weapon X sur Wade est vraiment surprenant, et pourra rebuter les fans. Mais là encore, il faut le voir comme les prémices d’une histoire torturée et ravagée, et comme une introduction pour un personnage appelé à évoluer dans un autre film… Nous sommes alors en face d’un Wade qui n’est pas encore devenu Deadpool, et le fait de ne pas traiter à la va-vite cette transformation est surprenante et bénéfique. Surprenante dans le sens où X-Men Origins : Wolverine réduit considérablement la mythologie du personnage principal mais qu’elle conserve tout le potentiel de Wade; et bénéfique, car l’aura de Wade reste mystérieuse et offre de très nombreuses possibilités.
X-Men Origins : Wolverine est donc un film décevant, mais Deadpool est prometteur. Les libertés prises par les scénaristes sont étonnantes, mais vont pourtant dans le sens d’un personnage détruit et ravagé, qui explosera un jour dans son propre film… Je croise tous mes doigts…