« Aucun organisme vivant ne peut demeurer sain dans un état de réalité absolue. Même les alouettes et les sauterelles rêvent, semble-t-il. Mais Hill House, seule et maladive, se dressait depuis quatre-vingts ans à flanc de colline, abritant en son sein des ténèbres éternelles. Les murs de brique et les planchers restaient droits à jamais, un profond silence régnait entre les portes soigneusement closes. Ce qui déambulait ici, scellé dans le bois et la pierre, errait en solitaire. » (traduction de Dominique Mols, édition Rivages/Noir, qui a curieusement rebaptisé le livre La Maison hantée…)
C’est en ces termes que débute le roman culte de Shirley Jackson, et ce premier paragraphe nous place d’emblée dans l’atmosphère qui perdurera tout au long du récit. La traduction rend bien justice à la poésie mélancolique de l’auteur, qui va nous prendre par la main et nous emmener visiter Hill House, cette vaste demeure perdue dans laquelle 4 personnages vont se perdre au fil des pages… La qualité d’écriture de Jackson est limpide, et on ne peut que tourner successivement les pages afin de s’en délecter davantage. Sa prose recèle une beauté à la fois sombre et scintillante, de celle qui parvient à jouer avec la texture et la sonorité des mots, pour nous immerger davantage dans ce conte maléfique.
C’est après avoir redécouvert l’excellent essai Anatomie de l’Horreur de Stephen King, que j’ai eu envie de relire ce Maison hantée édité en 1959. Plus de 20 ans ont passé depuis ma première lecture, ce qui m’a permis d’y replonger avec un regard presque neuf. Le retour à Hill House a été un très beau moment, et j’ai accompagné le docteur Montague, Eleanor Vance, Theodora et Luke Sanderson dans leur exploration avec un réel plaisir mêlé de quelques frissons. La précision de Shirley Jackson est impressionnante, et mêlée à une sorte de réalisme éthéré, cela confère à cette oeuvre une ambiance des plus étranges.
« Aucun oeil humain n’est capable d’isoler l’élément précis, qui, dans la composition malheureuse des lignes et des espaces, donne une allure diabolique à une maison. Il y avait là cependant un je-ne-sais-quoi – une juxtaposition insensée, un angle mal conçu, une rencontre hasardeuse entre ciel et toiture -, par lequel Hill House respirait le désespoir. »
C’est dans ses descriptions terriblement émotionnelles que Shirley Jackson excelle à faire ressortir le mal suintant de Hill House. La maison va happer ses hôtes pour les garder en son sein et jouer avec leurs nerfs. C’est là toute la beauté de ce roman, qui va parvenir à nous faire peur sans jamais nous montrer d’où provient la source! Un souffle d’air glacial, des bruits contre les portes en pleine nuit, des rires et des cris d’enfants qui surgissent… Shirley Jackson va nous emmener dans une véritable maison hantée, mais qui ne dévoilera jamais ce qui se cache en son sein! L’exercice est très périlleux, et pourrait rapidement tourner à l’ennui, si Jackson n’était pas capable de conserver toute notre attention et toute la tension nécessaire à la poursuite de la lecture.
Le docteur Montague va vouloir effectuer des observations précises, et va demander à chacun de rédiger des notes sur les événements qu’ils vont vivre. Jackson va jouer avec l’élément de temporalité, puisque les protagonistes vont passer une bonne nuit de sommeil avant que des événements ne se manifestent enfin. La prose est très bucolique quand il s’agit de dévoiler les alentours de la maison, avec le chemin dans les hautes herbes, la rivière serpentant non loin… Et on revient toujours à un petit détail qui ne semble pas à sa place, juste déposé là pour générer un soupçon diffus de malaise… C’est dans cette approche très précise, voire chirurgicale, que Jackson parvient à nous entraîner à sa suite dans ce récit passionnant!
Il va maintenant me falloir remettre la main sur La Maison du Diable de Robert Wise, l’adaptation cinématographique de ce roman! Et pour ceux qui ont Netflix, vous pouvez tester The Haunting of Hill House, l’adaptation en série dévoilée cette année.