Avec son premier long métrage, le metteur en scène britannique Chris Andrews nous livre une oeuvre âpre et sans concessions qui va raconter les déboires d’un berger irlandais confronté au massacre de ses bêtes. Les tensions vont rapidement monter avec les hommes d’une ferme voisine, que Michael pense responsable des exactions commises. Chris Andrews nous plonge dans un thriller rural brut et rugueux, dont la trame narrative est axée sur le quotidien morne et gris de ce berger vivant avec son père invalide, campé par l’excellent Colm Meaney (Gangs of London). Dès l’intro du film, on prend conscience du talent de Chris Andrews pour créer le malaise et le suspense, et on se retrouve du coup complètement pris dans cette oeuvre qui ne nous lâchera pas jusqu’au bout.
Je n’ai même pas reconnu Christopher Abbott que j’ai pourtant vu récemment dans le très bon Wolf Man de Leigh Whannell! Il s’avère très talentueux dans le rôle de Michael, qui n’est pas très enclin à la discussion et qui préfère rester en retrait, mais qui va devoir prendre des décisions difficiles suite aux problèmes qu’il rencontre. On sent un personnage tiraillé entre sa volonté de rester effacé et une certaine rage qui commence à monter en lui, et Christopher Abbott personnifie avec beaucoup de justesse cette ambivalence. Colm Meaney a un rôle un peu en retrait, mais son interprétation du patriarche pourrait se voir comme celle d’un Finn Wallace vieillissant qui tente encore de diriger son empire…
Barry Keoghan est bien évidemment excellent dans ce rôle difficile de Jack, le fils du voisin possédant la ferme à proximité, et il est clairement le personnage possédant le plus d’amplitude dans ses émotions, ce qui va mener le spectateur a également varier les sentiments qu’il peut avoir envers lui. Keoghan est un très grand acteur qui s’impose malgré son jeune âge, et sa relation avec Michael va être le pivot de toutes les tensions qui vont exploser dans ce film. En collant au plus près de chaque personnage, avec cette caméra souvent oscillante captant le réel dans l’urgence, on va sentir le malaise s’épaissir et l’engrenage se resserrer sur les protagonistes, qui vont effectuer des choix les menant de plus en plus drastiquement vers le point de non-retour. On a l’impression de se retrouver dans un cinéma à la Peckinpah mais sans l’esthétique et les ralentis chers au réal, pour uniquement capter la substantifique moëlle et la retranscrire avec une approche la plus froide et réaliste possible. Chris Andrews ne va pas faire dans le sensationnel (la musique s’avère souvent minimaliste, quand elle est présente) mais va paradoxalement nous plonger d’autant plus dans ce récit poisseux et de plus en plus sombre.
Sa façon de filmer les visages, de bien ancrer les personnages dans leur quotidien et dans ce lieu loin de tout, la manière dont il capte les émotions fugaces à travers la gestuelle des protagonistes, cet ensemble fait que l’on étouffe de plus en plus avec eux et avec ce noeud qui se resserre de manière désespérée. Le Clan des Bêtes est une oeuvre à la fois brute et sensitive, qui ne s’embarasse pas de discours inutiles mais qui se veut une sorte de western pessimiste délocalisé dans les prairies irlandaises. Un cinéma qui colle au réel et au terroir et qui démontre un savoir-faire impressionnant de la part de Christopher Abbott.