Comme le Feu (Philippe Lesage, 2024)

COMME LE FEU - PHILIPPE LESAGE - Couleur Bulle

Philippe Lesage est un metteur en scène canadien ayant déjà à son actif 7 longs métrages dont il a assuré l’écriture et la réalisation. Je découvre ce cinéaste avec sa 7ème oeuvre, sortie l’an passée, qui sur une durée de 2h41, parvient à nous hypnostiser en nous racontant les affres des relations humaines.

Comme le feu»: le temps d'une chasse | Le Devoir

Un homme nommé Albert part vivre quelques jours dans un chalet en pleine nature canadienne avec sa fille Aliocha, son fils Max et un ami de son fils, Jeff. Ils rejoignent un ami du père, Blake, la collaboratrice (Millie) de cet ami, qui est un réalisateur de documentaires, et 2 autres collaborateurs de Blake. Entre sorties en pleine nature et soirées arrosées au chalet, les 8 individus vont vivre ensemble avec tout ce que cela implique en terme d’adaptation sociale, de non-dits et de tensions. On va rapidement glisser vers ce qui s’apparente à une étude anthropologique, et on comprend au vu de la filmographie de Philippe Lesage qu’il s’agit de l’un de ses sujets de prédilection. Mais là où l’on pourrait craindre une étude de moeurs trop bavarde et sans relief, il va nous immiscer d’une manière extrêmement sensitive dans les affres de cette sociabilisation plus ou moins forcée, et des frustrations et rancoeurs qui en découlent.

Comme le feu" : règlements de comptes entre amis dans un chalet isolé au  cœur des forêts profondes du Grand Nord canadien

Le plan ouvrant le film symbolise déjà ce trajet mental que vont effectuer les personnages, et indique que le réalisateur va prendre tout son temps afin de laisser les situations se développer et se charger peu à peu de tension. La manière dont il filme cette voiture emmenant les protagonistes vers leur destination est chargée de sens, tant d’un point de vue cinématographique que psychologique. Le premier plan se déroulant à l’intérieur de la voiture achève de démontrer la maîtrise fondamentale du réalisateur, qui sans que l’on voit au départ leurs visages, place déjà les enjeux entre 2 des personnages principaux. Philippe Lesage filme les détails corporels puis les regards fuyants pour nous faire comprendre les affres de Jeff alors qu’aucun mot n’a été échangé.

Comme le feu (2024) - Critique du film de Philippe Lesage

Si Lesage est capable de faire ressortir les émotions intérieures des personnages sans le moindre dialogue, il est tout autant capable de filmer une séquence de repas qui s’étire, et lors de laquelle les protagonistes discutent tranquillement avant de se focaliser sur un terme employé, que la personne visée va relever et qui va faire monter la tension d’un seul coup. On se retrouve dans une veine très naturaliste mais qui n’oublie pas d’être résolument cinématographique, comme dans une sorte de Festen mais qui serait bien plus entomologique. Philippe Lesage filme ces discussions autour de la table en choisissant parfois un simple plan fixe, mais en ayant opté pour l’angle le plus approprié; ou il se permet à d’autres moments des travellings qui vont le faire passer d’un protagoniste à l’autre, alors qu’une discussion va en supplanter une autre. Mais à chaque fois, il va suivre l’évolution de ce point de cristallisation de tension, et on va ressentir un malaise et une gêne lors de ces moments notamment où Albert et Blake règlent leurs comptes.

Comme le feu - Shellac

On va avoir des sensations encore plus viscérales lors de l’échappée de Jeff, qui ne sait tout simplement pas comment gérer ses émotions et ses frustrations. Sa communion forcée avec la nature possède quelque chose de résolument primal, lui qui s’est extrait pour un temps du groupe, et il se retrouve face à ses besoins vitaux que sont dormir et manger. Le basculement se fait à la fois très rapidement mais également assez naturellement, et une fois encore, sans qu’un seul mot soit prononcé. Philippe Lesage filme les tréfonds de l’âme avec une aisance confondante, et on pourrait rapprocher son acuité de celle du Denis Villeneuve de la période Polytechnique et Incendies. On ressent la culpabilité de Jeff, ainsi que son désespoir très prégnant.

Comme le feu Bande-annonce VF

On se retrouve totalement immergé dans ce film qui possède un pouvoir quasi-hypnotique, capable de mettre en place des situations évoluant de façon graduelle, mais également capable de finir une séquence de manière abrupte mais pourtant très maîtrisée. En ce sens, la musique de Cédric Dind-Lavoie occupe un rôle central dans cette oeuvre, même si elle n’est pas présente dans toutes les séquences. Le passage avec la balade en canoë possède une atmosphère impressionnante en combinant justement la mise en scène de Lesage et cette excellente musique. Le thème de la musicalité est important également lors de cette superbe séquence où l’on pense que la musique est extra-diégétique, mais sur laquelle Aliocha va poser sa voix avec une très belle douceur. On se rend alors compte à quel point Philippe Lesage est capable de générer de l’émotion à partir d’une matière totalement brute, sans la moindre parole ou la moindre musique, mais qu’il est également capable de se servir de ce qui est dit ou entendu pour sublimer l’instant.

Bande-annonce : Comme le feu, un film d'apprentissage en pleine nature  québécoise - Actualités - Cinoche.com

On pourrait rapprocher ce film d’une autre oeuvre canadienne récente, Jour de Chasse, qui baigne elle aussi dans une atmosphère faite de tensions et de non-dits. Philippe Lesage parvient à aller bien plus loin dans son étude des moeurs sans pourtant chercher à les disséquer, mais en restant un fin observateur des mouvements erratiques des corps et des âmes. On est dans l’incapacité de prédire les événements qui vont avoir lieu au gré de ces jours de vie commune, mais on sent dès le départ qu’il va se passer quelque chose. C’est dans ce jeu-là que le scénariste et metteur en scène va parvenir à nous guider à sa manière hypnotique, et même les moments festifs qu’il va décrire sont chargés de tensions. La séquence de la soirée où les personnages se mettent à danser semble tout droit sortie d’un film italien des années 70 ou 80, et on a notamment quelques réminiscences de La Maison au Fond du Parc de Ruggero Deodato.

Le 31 Juillet prochain sortira au cinéma le film “Comme le feu” avec Arieh  Worthalter, Noah Parker et Aurélia Arandi-Longpré. Découvrez la  bande-annonce. – Bienvenue sur le site de Médias Infos qui

Comme le Feu fait partie de ces films qui n’expliquent par leur déroulé, mais auquel le spectateur doit être attentif afin de percevoir ce qui se cache dans les non-dits et les allusions. En ce sens, il parvient à nous conter un récit nous renvoyant à nos propres frustrations, qu’elles soient sexuelles ou sociales, à nos propres culpabilités, et à nos propres peurs. Ce film impressionne par sa structure et par la qualité des acteurs, qui sont dirigés de main de maître par Philippe Lesage. Noah Parker est d’une justesse estomaquante dans sa gestion du personnage de Jeff, et Aurélia Arandi-Longpré excelle dans ce rôle d’Aliocha, qui oscille entre naïveté ethérée et séduction. Arieh Worthalter (Le Procès Goldman) est très bon dans le rôle de Blake, qui va souvent s’opposer à un Albert joué par un Paul Ahmarani impressionnant lui aussi. L’ensemble du casting s’avère très bon, avec quelques rôles en retrait, mais qui permettent de faire briller les autres.

Comme le Feu est une oeuvre totalement étrange et terriblement sensitive, qui si l’on accepte d’y plonger, va nous remuer durablement.

Philippe Lesage – « Comme le feu » | Culturopoing

Ce contenu a été publié dans 2020's, Cinéma. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *