En 1970, Pierre Granier-Deferre est encore dans sa première période cinématographique, La Horse constituant son 6ème long métrage. Porté par un Jean Gabin impérial (qu’il dirigera une seconde fois l’année suivante dans Le Chat), ce thriller minimaliste est l’antithèse du film d’action ébouriffant, ce qui ne l’empêche pas de s’imposer comme une oeuvre forte. Granier-Deferre est connu pour être un fervent opposant à la Nouvelle Vague, et use d’une mise en scène bien plus classique, mais qu’il maîtrise sur le bout des doigts.
De prime abord, on rentre dans un récit naturaliste nous présentant Auguste Maroilleur, propriétaire d’une exploitation en Normandie, revenant d’une chasse au canard. Mais sous ces abords quasi-documentaire, Granier-deferre ne va pas perdre de temps et va très rapidement instaurer l’élément perturbateur qui va venir salement gripper les rouages de cette existence austère. Maroilleur vit sur son domaine entouré de ses filles et de ses gendres, chacun assurant sa part de travail, et tout le monde obéissant au doigt et à l’oeil au patriarche. Presque tous… Cette existence quasi-monastique va être chamboulée à cause de l’un d’entre eux…
Gabin fait de Maroilleur un individu taiseux et imposant, qui a très peu de lignes de dialogues durant le film, tant il semble que sortir des mots lui fend les lèvres. Maroilleur appartient à l’ancien monde, celui du travail de la terre, qui ne se plaint jamais et qui n’a non plus aucune marque d’affection pour personne. Un personnage élevé à la dure et qui compte bien faire respecter ses règles sur ses propres terres. Quand il découvre que son petit-fils cache de la drogue dans une de ses cabanes, et que des trafiquants passent la récupérer chez lui, il n’accepte tout simplement pas cela, et va appliquer sa propre loi. Sans aucun état d’âme, il sait qu’il va devoir gérer des conflits avec des hommes sans scrupule, mais il n’a aucune hésitation et va laisser le conflit arriver, tout en se préparant lui ainsi que sa famille.
De l’autre côté de l’Atlantique, Gabin aurait sans aucun problème pu jouer le cow-boy solitaire, et il le prouve dans ce western rural épuré, qui avec une durée au compteur de seulement 1h17, va aller à l’essentiel d’un bout à l’autre du métrage. Totalement dégraissé d’une quelconque pellicule psychologique, il n’en demeure pas moins intéressant paradoxalement au niveau de la psyché des personnages. En réduisant au maximum les dialogues et les interactions, Granier-Deferre va s’intéresser à la substance principale de son récit, à savoir la gestion des trafiquants par ce grand-père silencieux et monolithique. En refusant la discussion avec à peu près tout le monde, même la police, il impose sa vision et ses règles à l’ensemble de sa communauté. Il va décider de la marche à suivre à chaque moment-clé, et va faire preuve d’un sens de l’honneur et de la justice à l’ancienne. Le genre d’individu qui a le fusil, et qui te laisse creuser…
On est loin des dilatations temporelles chères à Leone, ou des ralentis qu’affectionnent Peckinpah. Ici, on est dans une visualisation tout ce qu’il y a de plus réaliste, avec une violence très sèche et soudaine. On est immédiatement mis dans le bain avec cette séquence où un trafiquant vient menacer Maroilleur. Il a à peine le temps d’entamer sa diatribe qu’il va se retrouver plombé par le vieux fusil du vieux Maroilleur. La violence a juste le temps de se déclencher qu’elle est déjà terminée, point à la ligne. C’est ce credo que va appliquer Maroilleur afin de régler le problème, et cette mise en scène anti-spectaculaire s’avère d’une très grande intelligence, possédant un impact immédiat sur le spectateur. Ca fait tellement plaisir de voir qu’il est possible de mener un film de genre de cette manière faussement détachée, qui en fait traite de manière très subtile des répercussions des événements sur les personnages.
La séquence en mode home invasion s’avère bien plus glaçante avec la retenue de sa mise en scène, puisqu’on ne va strictement rien voir de violent, mais on va être confronté aux conséquences des actes des malfrats. L’impact est tout aussi fort… Pour Granier-Deferre, l’intérêt n’est pas dans la surenchère au niveau de la violence, comme la séquence du viol dans le malsain La dernière Maison sur la Gauche de Wes Craven, mais dans l’impact qu’elle a sur les individus. L’absence de parole de Maroilleur lorsqu’il entre dans cette chambre, et son regard… Il n’offrira toujours pas de paroles de réconfort, mais va faire ce qu’il sait faire le mieux : ne pas causer pour rien dire, et agir silencieusement.
Sous ses airs de ne pas y toucher, La Horse est une preuve brillante que l’absence de débauche pyrotechnique et de shaky cams n’entame en rien la force d’une oeuvre, et Pierre Granier-Deferre démontre une maîtrise impressionnante de son art. En restant toujours à hauteur d’homme, sans chercher à user de la topographie des lieux afin de créer des séquences dingues, il va au contraire opter pour une retenue et une froideur qui paradoxalement vont attirer le spectateur, qui se demande bien jusqu’où ira Maroilleur pour sauver sa famille. Et il faut bien évidemment retenir la bande originale signée Serge Gainsbourg, qui tape dans le mille avec un excellent titre principal!