Les origines du breakdance sont bien plus atypiques que ce que l’on pense, à commencer par le terme lui-même, qui ne vient pas des danseurs mais qui a été utilisé par les médias pour populariser cette « nouvelle » forme de danse issue de la rue. Après qu’une série de films centrés sur cette discipline a commencé à envahir les salles, ce qui s’appelait originellement le breakin ou le B-boying a commencé à se diffuser à travers le monde sous le terme de breakdance. D’ailleurs, le titre original de ce film est Breakin’, et a été « francisé » en Break Street 84. On n’entendra jamais le terme breakdance dans cette oeuvre, et le style utilisé par le trio ne sera a aucun moment nommé. Ce sont des films comme Beat Street, Wild Style ou ce Break Street 84 qui ont participé à la reconnaissance de cette discipline, que l’on croit à tort née dans les années 80. En fait, cela remonte aux années 70… Et en fait non, ça va même plus loin que ça!
Ce qui s’est développé au début des années 70 dans le Bronx, plus précisément dans les quartiers sud, a été une forme d’échappatoire à la misère sociale et aux violences quotidiennes. La mixité entre Afro-Américains, Latinos et Portoricains a été un terreau très vivace en terme artistique, avec notamment des apports musicaux très importants comme la salsa, le funk, le mambo… Il y a eu une émulation musicale qui a grandi et qui s’est propagée grâce à un pionnier: DJ Kool Herc (photo ci-dessous), immigré jamaïcain qui est le premier DJ à organiser des soirées lors desquelles il passait des sons de n’importe quelle nationalité, pourvu que ça groove! Pour plus d’infos, je vous mets le lien vers un excellent article du Break Dance Crew retraçant l’historique du mouvement! Et au niveau sport, la culture des arts martiaux ainsi que la capoeira (mise en avant dans le Rooftops de Robert Wise, qui parle même un peu de Parkour avant l’heure!) sont des inspirations directes pour le breakdance.
Mais avant les années 70 et le Bronx, la véritable genèse a eu lieu sur un autre continent, l’Afrique! Une vidéo a fait pas mal de bruit il y a 3 ans, et dévoile des habitants de Kaduna au Nigeria, en train d’effectuer des danses virevoltantes et ressemblant furieusement au breakdance… Et la vidéo date de 1959!!! Et une autre datant des années 60 prend place elle dans un village kenyan, avec là encore des danseurs qui tentent des acrobaties! Comme quoi, pour chaque discipline, on arrive toujours à remonter plus loin… ^^
Après cet historique nécessaire, revenons aux années 80, et plus précisément à l’année 1984, avec ce Break Street 84 signé Joel Silberg. Silberg est un metteur en scène israélien qui a tourné 12 films en Israël, et Break Street 84 est sa première expérience américaine. Le film est produit par les fameux Yoram Globus et Menahem Golan, 2 Israéliens qui après avoir oeuvré dans leur pays, se rendent aux Etats-Unis et y rachètent le groupe Cannon International, afin d’y produire des films d’exploitation et de série B. Sentant le vent tourner en faveur des oeuvres musicales (le succès du Flashdance d’Adrian Lyne notamment), ils tentent de tirer leur épingle du jeu en s’intéressant à la culture hip-hop et à la danse de rue avec ce Break Street 84, un des pionniers du genre. Et si le film s’articule autour de ressorts narratifs vus et revus de nos jours, il faut bien rappeler que c’était plutôt novateur à l’époque. Et malgré le manichéisme assez simpliste de l’ensemble, il y a un réel rythme et une vraie énergie se dégageant de cette oeuvre!
Il faut bien se remettre dans le contexte de l’époque, où le breakdance (qui n’était donc pas encore qualifié comme tel) n’était pratiqué que dans les quartiers pauvres. Si le choc des cultures peut paraître exagéré dans le film, il n’en était pas moins réel et il y avait une forme de rejet de ce qui était considéré comme populaire, de manière péjorative. Le combat de Kelly, Ozone et Turbo pour montrer à tous que ce qu’ils pratiquent est véritablement une danse, est un chemin semé d’embûches. Ca rappelle un peu les gens qui voyaient des traceurs et qui croyaient qu’ils étaient des vandales, alors que maintenant tout le monde connaît le Parkour! ^^ Lucinda Dickey est une danseuse dont le premier rôle date de 1982, lorsqu’elle a participé à Grease 2, et le personnage de Kelly dans Break Street 84 est seulement son second rôle! Elle incarne une pratiquante de modern jazz, qui va faire la rencontre d’Ozone et Turbo, lesquels vont lui faire découvrir l’univers de la danse de rue. Lucinda Dickey possède des capacités solides et ne dénote clairement pas aux côtés de ses 2 amis!
Adolfo Quinones, alias Shabba-Doo, est l’un des précurseurs du breakdance, et plus spécifiquement du style nommé locking. Il sera plus tard chorégraphe pour Madonna et Lionel Richie, et est clairement une figure importante de ce mouvement en plein essor. D’ailleurs, il était le chorégraphe et danseur principal sur la tournée Who’s that Girl en 1987 pour Madonna! Son style très vif est caractéristique de l’énergie qui se développait à l’époque, et c’est un vrai plaisir de le voir bouger dans ce film! Adolfo Quinones nous a malheureusement quitté le 30 décembre dernier… A ses côtés, Michael Chambers incarne Turbo, et dans la vie son alias est Boogaloo Shrimp ^^ Il possède lui aussi une aisance assez déconcertante, et gère notamment sacrément bien le style boogaloo, avec ses mouvements robotiques (et ce sont donc Quinones et Chambers qu’il fallait remarquer dans Le Clip de la Semaine ^^) ! Le trio apporte une très belle vitalité à ce film, offrant des séquences de danse old school vraiment prenantes! Et pour la petite anecdote, lors de la première apparition de Quinones et Chambers dans une scène en extérieur, il y a un gars qui se déhanche en justaucorps noir dans la foule. C’est un certain Jean-Claude Van Damme, dont il s’agit de la 2ème apparition dans un film! ^^
Joel Silberg met bien en avant les prouesses de ses danseurs, et on assiste à quelques séquences bien décoiffantes, qui ne sont pas maltraitées par un montage saccadé et qui bénéficient de cadrages intelligents. Ca fait tellement plaisir de pouvoir laisser se dérouler des séquences mettant en scène un tel style! Comme ce moment semi-féérique où Turbo balaie devant le magasin! ^^ On sent une motivation sincère dans l’élaboration de ce film, qui encore une fois, s’appuie sur un schéma certes manichéen avec le méchant chorégraphe classique contre les danseurs de rue, mais cela reflète une réalité contemporaine et le message est assez important pour que l’on passe sur certaines approximations. Break Street 84 est un instantané du New York en pleine métamorphose culturelle en ce milieu des 80’s, et on ressent véritablement cette effervescence doublée d’une certaine incompréhension de certains. La séquence lors de laquelle le producteur tente à tout prix de convaincre des gens de venir voir ce trio d’un autre genre parle d’elle-même, avec ce côté réfractaire à ce qui vient des rues les plus pauvres de la ville… Et sinon, il ne faut surtout pas oublier la courte prestation d’Ice-T, qui apparaît pour la toute première fois dans un film! Oui oui, le Ice-T de Body Count! ^^
Break Street 84 est un témoin de cette époque colorée faite de mixité tant sociale que culturelle, et ce foisonnement explose lors des séquences de danse qui vont mêler des styles différents. Kelly incarne le classicisme revisité, et son alliance avec Ozone et Turbo va s’avérer très percutante! A plusieurs moments, le film va revenir sur les origines street de cette danse, et on va assister à des séquences en extérieur impressionnantes, notamment avec ce handicapé qui danse en béquilles et qui s’avère tout simplement incroyable!!! Break Street 84 est vraiment une oeuvre à découvrir pour les amoureux de la culture hip-hop, qui malgré ses quelques défauts, s’avère très attractif! Une suite est sortie la même année (Globus et Golan sont de sacrés petits opportunistes! ^^) sous le titre de Breakin’ 2 : Electric Boogaloo, et voit le même trio revenir sur le devant de la scène. Le film (réalisé par Sam Firstenberg, oui, celui d’American Warrior et du Ninja Blanc!!!) commençait plutôt bien, mais l’aspect manichéen est cette fois-ci vraiment trop appuyé, avec le vilain promoteur immobilier voulant raser le foyer pour jeunes, et ça devient carrément grotesque et ridicule de ce côté-là… Mais il y a quelques séquences de danse toujours sympa, dont une absolument incroyable que je vais vous poser là, et qui défie réellement les lois de la gravité!!! Si ça vous rappelle une scène des Griffes de la Nuit, c’est tout à fait normal, car c’est la même chambre rotative qui a été utilisée!!! Et un 3ème film verra même le jour en 1985 (à nouveau sous la direction de Joel Silberg), intitulé House Rap (Rappin’ en VO), mais sans le trio principal. Par contre Ice-T aura été présent dans les 3 films lui! ^^