Karyn Kusama avait eu un démarrage indé assez enthousiaste de la part des critiques avec Girlfight en 2000, avant de se faire lyncher pour ses Æon Flux (2005) et Jennifer’s Body (2009). Pour ma part, j’avais trouvé Girlfight et Jennifer’s Body sympas, sans plus. Du coup je ne me suis pas attardé sur le reste de sa filmo, avec The Invitation en 2015 et Destroyer en 2018. Cette séance de rattrapage pour son 4ème long a été sacrément bénéfique, me laissant découvrir une oeuvre résolument surprenante et qui m’a laissé sans voix!
Tout commence par un dîner mondain des plus classiques, entre une poignée d’amis qui ne se sont pas vus depuis 2 ans. On sent quelques réticences de la part de certains, une convivialité enjouée de la part d’autres, et un sentiment diffus de gêne qui ne s’exprime pas. On se dit qu’en temps normal, la glace prend un peu de temps à être brisée, mais ici ça commence à geler de plus en plus, sans que l’on parvienne à en déterminer les raisons. Il va s’agir de détails fugaces, comme une porte fermée à clé, une personne surprise dans l’entrebâillement d’une porte, un discours qui semble un peu trop calculé… On a l’impression de se retrouver en mode Cluedo mais en se demandant pourquoi les hôtes ont organisé cette réception d’amis perdus de vue.
Plusieurs facteurs participent activement à la réussite totale de ce long métrage. Pour commencer, l’écriture au cordeau assurée par Phil Hay et Matt Manfredi, qui travaillent ensemble depuis une vingtaine d’années, et qui ont déjà co-écrit Æon Flux, ce The Invitation et Destroyer pour Kusama. La précision impressionnante et la rigueur exemplaire de leur script en fait un modèle du genre, offrant à ce huis-clos une intensité étonnante. L’évolution du récit se fait de manière très progressive en jouant avec les sensations du spectateur et les intentions des personnages, ce qui s’avère au final à la fois ludique et ultra-crispant! Il y a autant de lectures différentes que de protagonistes, et on est constamment sur le fil en se demandant s’il y a une vraie noirceur ou s’il s’agit au contraire d’une parano exacerbée. En cela, la réussite du duo est magistrale!
La mise en scène de Kusama ensuite, qui va s’appliquer à coller au plus près du script de Hay et Manfredi, en lui offrant un écrin faussement clinquant dans cette maison huppée de Los Angeles, juchée sur une colline proche du célèbre panneau Hollywood, et où règne un calme qui ne semble pas si serein que ça. L’habileté avec laquelle la réalisatrice gère sa chorale de personnages est là aussi étonnante, car tout semble couler naturellement tandis que l’intrigue avance tranquillement. Elle joue très efficacement avec les interactions entre les personnages, nous questionnant à plusieurs reprises sur les agissements de certains, créant des doutes, les levant, les faisant à nouveau planer… Le mélange des émotions successives est savamment géré, d’autant plus que les apparences semblent très fragiles…
Les acteurs ensuite, qui s’insèrent tous parfaitement dans cette étrange réunion. Logan Marshall-Green en premier lieu, avec son rôle mutique qui laisse influer une certaine rage intérieure. Ce clone de Tom Hardy est un excellent acteur, je vous l’avais déjà signalé lors de ma vision du très bon Upgrade de Leigh Whannell (il a également joué dans Prometheus, mais personne n’est parfait). Sa façon de suggérer ses tourments intérieurs tout en gardant cette apparence de calme en fait un personnage complexe et très intéressant. L’excellent Michiel Huismans, vu dans Game of Thrones, 2:22 ou The Haunting of Hill House apporte une suffisance et une compassion exaspérante à son personnage, et il est secondé par une Tammy Blanchard (Raisons d’Etat) qui semble projeter une empathie forcée envers ses invités. Le reste du casting se cale sur les acteurs principaux pour complexifier l’ensemble, et pour perdre peu à peu le spectateur dans ses conjectures.
On va découvrir des pans du passé de certains personnages, on va en apprendre davantage sur leur présent, et on va tenter de lier le tout pour comprendre pourquoi il s’est passé 2 ans avant qu’ils se revoient. D’autres protagonistes se sont ajoutés à la liste depuis, sans que l’on connaisse leur nature véritable, mais l’avancée de la soirée, entre déclarations de vérité et tentatives de faire entendre son point de vue aux autres, va passer de moments ludiques à des instants bien tendus, avant de se calmer pour mieux repartir ensuite. Le jeu où chacun doit dire ce qu’il veut, les révélations sur ce que certains ont fait durant ces 2 années, l’attente face à un retard, le stress qui monte quand on ne comprend pas trop où veut en venir son interlocuteur… Il y a une précision chirurgicale dans la montée progressive des tensions, et The Invitation est une oeuvre maîtresse du genre! J’adore quand un film parvient à me balader sans que je parvienne à en saisir tous les tenants et aboutissants avant la toute fin, et quand tout concorde pour en faire une réussite totale! The Invitation est un film très marquant, et dont l’aura perdure bien après sa vision!