Cela faisait un long moment que je n’avais pas croisé la route de David Fincher. Le dernier film que j’ai vu de lui remonte à presque 10 ans, il s’agit du très bon Gone Girl. Je m’étais laissé tenter par la première saison de Mindhunter en 2017, que j’avais trouvé à un très bon niveau, même si la fin m’avait déçu. Je n’ai pas enchainé sur la seconde. Il y a 3 ans, il a tenté un pari graphique avec Mank, auquel je n’ai pas adhéré et que j’ai stoppé au bout de 30 minutes. Voilà pour mes dernières expériences avec son cinéma. Jusqu’à aujourd’hui, où j’ai découvert son The Killer sans être spécialement pressé.
Ca tombe bien, l’un des sujets principaux de ce nouvel effort du réalisateur américain s’avère être la patience. Et il faut bien avouer que l’on avait rarement mis en scène cette vertu avec autant de classe et de précision. En racontant l’histoire d’un tueur à gages, Fincher nous immisce dans son quotidien fait de très (très) longues périodes d’attente. Pour réussir dans ce métier, il faut être capable de gérer l’ennui et l’inactivité d’une manière presque similaire à celle d’un moine retranché pour prier. J’exagère à peine, et Fincher met à profit sa science du cadrage et son amour pour les textures sonores afin de nous livrer une vision très frontale et d’une très belle précision quant à ce métier ô combien mystérieux pratiqué par le personnage principal, qui ne répondra à aucun nom durant toute la durée du métrage. La rigueur des plans accompagne la rigueur que s’impose le tueur, tant dans son rythme de vie que dans son approche des contrats. Il procède en tentant de maîtriser l’ensemble de la chaîne d’événements menant à l’exécution dudit contrat, et découlant de cette exécution.
On ne présente plus Michael Fassbender, qui a fait du chemin depuis Frères d’Armes, 300 ou encore Hunger. Il compose un tueur implacable, imperturbable et qui maintient un contrôle émotionnel et physique de chaque instant. Le voir se glisser dans les plans fluides et maîtrisés de Fincher apporte une sorte de dynamisme feutré, pas celui bien clinquant que l’on a l’habitude de voir dans de trop nombreux films, mais un de ceux qui se rapprocheraient de la musicalité de l’excellent Baby Driver d’Edgar Wright. Les 2 metteurs en scène ont ceci en commun de ne rien laisser au hasard, et de faire se succéder des plans et des séquences bien pensés en amont et minutieusement préparés. C’est à ce prix que l’on pourra ressentir cette musicalité diffuse qui va venir créer des sensations déroutantes, dans un long métrage aux antipodes du tout explosif et du tout explicatif. L’important ici réside dans la maîtrise de chaque instant afin de se servir de chaque élément à sa disposition pour arriver à ses fins.
Je ne vous parle pas en vain de musicalité, car une fois encore, Fincher s’est entouré de ceux qui sont devenus ses compositeurs fétiches depuis The Social Network, Millénium : les Hommes qui n’aimaient pas les Femmes, Gone Girl ou encore Mank. Trent Reznor et Atticus Ross en sont en effet à leur 5ème participation musicale pour le réalisateur, et le résultat est à la hauteur des vélléités atmosphériques des 2 artistes, avec des nappes discrètes mais prenantes venant délicatement se poser sur les images de Fincher. L’attrait pour les BO de Reznor se fait depuis longtemps ressentir dans les albums de Nine Inch Nails, et le pionnier de l’indus s’est depuis assagi pour nous livrer des compositions moins torturées et plus envoûtantes. Je vais reparler de Baby Driver, car je trouve que le personnage principal de The Killer a une approche sensorielle similaire à celle du personnage de Baby, sans toutefois être aussi poussée. Mais le fait d’avoir régulièrement cette musique surgissant furtivement afin d’accompagner le personnage principal va apporter une certaine touche personnelle à l’accomplissement de son travail, et va permettre à Fincher d’effectuer des jeux sonores très subtils et captivants. La modulation permanente entre le niveau sonore réellement entendu par le personnage et celui pris de plus loin va créer une sorte de distorsion presque spatiale au travers des plans, pour un résultat très intéressant au niveau des sensations. Ce jeu va se poursuivre avec les différents bruits entendus au gré du film, Fincher jouant par exemple avec les ouvertures et fermetures de portes afin de monter ou réduire le curseur sonore, dans la même optique de légèrement déstabiliser le spectateur à ces moments. Ca n’a l’air de rien, et pourtant ça procède d’une très belle maîtrise de Fincher et ça offre au film une certaine texture innovante.
Fincher va découper son film en 6 actes, et créera 6 atmosphères distinctes au gré des pérégrinations de son protagoniste principal. Il va capter les temporalités et les atmosphères bien précises de chaque lieu traversé, comme Paris, La Nouvelle-Orléans, la Floride ou encore la République Dominicaine. A chaque destination, on sent un réel travail dans l’exploration picturale et sensitive des lieux, et c’est tellement mieux fait que dans un James Bond ou chaque lieu ressemble au précédent alors que 007 voyage à travers le monde… Dans chacun de ces lieux, le tueur semble tout aussi à l’aise comme s’il s’appropriait chacun des éléments de chaque ville, puisqu’il semble gérer la topographie de chaque lieu ainsi que tous les systèmes de sécurité qu’il va croiser. On a un côté high tech qui n’en fait pas des tonnes mais qui a un rendu très réaliste, et le tueur peut compter sur Amazon pour arriver à ses fins ^^
Le rythme très particulier de ce film pourra en rebuter quelques-uns, mais on appréciera grandement ce thriller en mode silencieux et feutré se permettant pourtant quelques accès de violence fulgurantes. On a notamment droit à un combat que n’aurait pas renié le Daredevil de Netflix, même s’il est un poil trop sombre pour être apprécié à sa juste valeur. Mais l’ensemble se tient de très belle manière grâce à cette musicalité discrète et constante, qui fait de The Killer non pas un chef-d’oeuvre, mais un film possédant une certaine aura envoûtante.