Mon Nom est Personne (Tonino Valerii, Sergio Leone, 1973)

Après avoir marqué de son empreinte le genre du western avec sa Trilogie du Dollar et Il était une Fois dans l’Ouest, le metteur en scène italien Sergio Leone a l’idée de créer un film qui raconterait la fin d’une ère et le début d’une nouvelle. Avec le déclin du western classique (incarné par Henry Fonda), on assiste dans les années 70 à une déviation du genre, davantage tourné vers l’humour et la parodie (incarné par Terence Hill). C’est la réflexion de Leone face au succès grandissant des Trinita et autres westerns buddy movie du duo Terence Hill / Bud Spencer qui va l’amener à appréhender l’extinction d’un genre. Privilégiant lui-même le schéma classique au schéma parodique, il va toutefois utiliser le personnage immuable du cowboy fantaisiste cher à Terence Hill, personnage qui marquera lui aussi durablement le cinéma.

Mon Nom est Personne est conçu comme un hommage à un genre en voie de disparition, et Henry Fonda incarne le dernier cowboy traditionnel dans une époque en pleine effervescence et en pleine mutation. Nous sommes à l’aube de l’Ere Industrielle, et l’apogée du Far-West est terminée… Jack Beauregard (Henry Fonda) est considéré comme le tireur le plus rapide de l’Ouest, mais il est aujourd’hui un homme fatigué, prêt à se retirer en Europe pour couler des jours heureux. C’est sans compter sur la détermination d’un jeune cowboy qui souhaite à tout prix faire entrer Beauregard dans la légende, en lui offrant un chant du cygne mémorable… Personne, tel qu’il se nomme lui-même, est un admirateur de Beauregard, qui lui a donné l’envie et la volonté de devenir un tireur extrêmement talentueux. Sous ses airs enjoués et facétieux, il estime avoir une dette envers Beauregard pour lui avoir montré la voie.

Beauregard est obligé de chausser des lunettes aujourd’hui, et Personne a un regard couleur azur bien affûté… Le moment de la passation semble être venu, et les multiples rencontres entre les deux tireurs vont les rapprocher, et vont peu à peu faire comprendre à Jack ce que ce mystérieux jeune cowboy veut de lui. Personne agit tel un élément perturbateur, mais il va mettre en branle tout un processus pour que Beauregard accepte son destin légendaire. Les deux hommes vont se défier et se jauger, avec un respect grandissant qui va faire partie du plan de Personne, qui va manipuler Beauregard pour lui donner les honneurs qu’il mérite!

Mon Nom est Personne est un western clairement dichotomique, tant dans son opposition entre la figure solitaire classique et le héros farfelu, qu’entre ses deux metteurs en scène que sont Tonino Valerii et Sergio Leone. Valerii a été choisi par Leone, mais les relations entre eux se sont rapidement envenimées, et Leone, qui agissait en tant que producteur, a également tourné plusieurs scènes du film. S’il n’est pas crédité officiellement, il est reconnu aujourd’hui comme co-réalisateur du film. On reconnait notamment sa patte dans la magnifique scène d’ouverture, qui joue comme à son habitude sur un allongement de la temporalité et sur un travail sonore remarquable. Sergio Leone crée une tension qui va crescendo, et qui ne disparaîtra qu’après un long moment, avec une explosion de violence d’une durée très courte! La mise en scène, sublime, démontre toute la maîtrise que Leone a de son art.

Puis l’on introduit d’un coup ce personnage fantasque de Personne, dans une scène de pêche typique de l’acteur italien Terence Hill. L’humour et l’absurde font partie intégrante de ce personnage, qui rappelle celui de Trinita. Hill a joué ce héros dans On l’appelle Trinita et On continue de l’appeler Trinita (tous les autres Trinita étant des retitrages d’oeuvres antérieures, n’ayant donc rien à voir avec la saga qui ne contient que 2 films), et l’aspect vestimentaire de Personne est volontairement similaire à celui de Trinita. Sergio Leone oppose le western hollywoodien au western spaghetti, et la jeunesse fougueuse du héros italien est sur le point d’éteindre une certaine vision du genre…

Si l’apport de Leone est indéniable, Tonino Valerii a quand même tourné la plus grande partie du film, et il faut également lui reconnaître un certain mérite! Il a assimilé les recettes du maître, et offre à ce western crépusculaire un très bel écrin pour effectuer une passation d’arme. Il gère les deux regards bien distincts qu’offre encore le genre, et les mêle avec beaucoup de respect et de lucidité. La scène du cimetière est chorégraphiée d’une très belle manière, et rend hommage de manière osée au genre, avec notamment une tombe où est inscrit Sam Peckinpah, le nom du réalisateur de La Horde sauvage! La même horde que Personne souhaite opposer à Beauregard justement, puisqu’il a toujours eu cette vision de son héros face aux 150 cavaliers de la horde…

Mon Nom est Personne bénéficie également d’une partition très inspirée d’Ennio Morricone, qui s’auto-parodie avec une citation de La Chevauchée des Valkyries dans le thème écrit pour la horde sauvage, ou la réutilisation subtile du thème de l’harmonica d’Il était une Fois dans l’Ouest. A tous les niveaux, ce film joue sur plusieurs tableaux, passant de l’hommage à la parodie, du sérieux au comique tout en réussissant à garder un ton uni tout du long. Ce n’était pas gagné avec un tel sujet et une telle dissension entre les auteurs, mais le résultat est un western vraiment réussi, qui rend hommage à Henry Fonda mais aussi à Terence Hill et à sa réappropriation très personnelle du mythe du cowboy américain.

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2 réponses à Mon Nom est Personne (Tonino Valerii, Sergio Leone, 1973)

  1. Shystrak dit :

    Bon, permet moi de corriger la légende, Leone n’a rien tourné du film, c’est du Tonino Valerii pur jus (cf interview dans les bonus du Blu Ray). Il suffit pour la peine de voir ses autres films comme l’excellent « Le dernier jour de la colère » pour être convaincu de l’aspect original de sa mise en scène. Après Leone a été reconnu comme étant un producteur un peu vampire et surtout revendicateur quand le film est devenu un succès. Je sais pas sur quel support tu as vu le film mais l’edition collector DVD ou Blu ray sont pleines de super bonus….qui nous convainc encore que quand la lègende est meilleur que la réalité on imprime la légende.

  2. Wade Wilson dit :

    Il est difficile de faire la part entre vérité et légende par moments… Je suis allé lire une interview de Valerii provenant d’un bonus DVD, ça donne effectivement un autre point de vue! Mais je me dis aussi qu’on ne pourra plus avoir la version des faits par Leone, donc on ne saura jamais vraiment la vérité sur tout ça de manière objective à priori. Ca fait partie du mythe Leone!

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