Clive Barker est certainement l’un des romanciers d’horreur britanniques les plus réputés, avec des oeuvres sulfureuses telles Hellraiser, Livre de Sang, Cabale… Son univers fantasmagorique peuplé de créatures quasi-mythologiques en fait une sorte de pendant malsain de Guillermo Del Toro. Outre sa passion pour l’écriture, il est également un fervent adepte du 7ème art, qui l’a malheureusement très souvent malmené… Les expériences désastreuses qu’il a vécu sur certaines adaptations de ses oeuvres lui ont laissé un goût très amer, à cause de producteurs véreux et peu scrupuleux, qui se foutaient totalement de respecter la vision de l’auteur. Transmutations et Rawhead Rex sont des désastres, et un ami lui conseille alors de s’occuper lui-même de projeter à l’écran ses cauchemars les plus sombres.
C’est ainsi qu’il nous livre Le Pacte en 1987, qui est l’adaptation de son court roman Hellraiser. Le film est un véritable succès dans le genre horrifique, et va rajouter au panthéon morbide des créatures très marquantes, les Cénobites, avec Pinhead à leur tête! En 1990, il adapte son roman Cabale (sous le titre Cabal), qui sera là encore trituré et dénaturé par les producteurs, et qui sera un nouvel échec, bien que le film ait gagné au fil du temps une aura culte. En 1995, Le Maître des Illusions n’échappera pas à cette malédiction, et sera aussi tronqué par les producteurs… Candyman, mis en scène par Bernard Rose, est certainement l’un des films les plus emblématiques adaptés de Barker (il est tiré de la nouvelle Lieux Interdits de Livre de Sang), et donnera lieu à une série de films qui va rapidement perdre de son intérêt dès le 2ème opus.
Mais on va évidemment revenir à la saga Hellraiser, puisqu’il est question d’elle aujourd’hui. Le Pacte, premier épisode mis en scène par Clive Barker, a donc été un succès massif. Cela ne l’empêche pas d’être une bonne grosse bouse avec ses personnages ridicules et son scénario chiant à mourir… Je ne comprends pas l’aura culte qui entoure ce film, si ce n’est qu’il s’agit de la toute première pierre de cette série… Il y a malgré tout 4 éléments à sauver dans ce film : une scène de résurrection glauque à mort et visuellement bluffante, avec des effets qui fonctionnent encore aujourd’hui! la vision de cette créature rampante dans le grenier qui glace les sangs; un cauchemar fait par le personnage de Kristie qui est une très belle vision morbide et cauchemardesque; et les (rares) apparitions des Cénobites, avec leurs particularités physiques impressionnantes et une certaine aura. Mais le tout est baigné dans une telle ambiance téléfilm bâclé avec des personnages d’un inintérêt total, qu’il est difficile de s’intéresser à ce récit malgré ces quelques fulgurances.
La saga Hellraiser va donc faire partie de ces séries dont le second volet est supérieur au premier, et le metteur en scène Tony Randel va nous livrer un Hellraiser 2 : les Ecorchés véritablement impressionnant dans sa construction de la mythologie! Rarement on aura vu une visualisation de l’Enfer aussi glauque et captivante! Ce 2ème épisode est ce qu’aurait dû être le 1er, et il va puiser dans l’histoire de ses personnages pour complexifier un propos déjà très intéressant. C’est relativement étonnant, car le scénario du premier était tellement pauvre, que le voir transcendé par ce second opus est un vrai régal! Il s’agit du premier travail du scénariste Peter Atkins, qui oeuvrera encore sur quelques épisodes de la saga mais aussi sur des épisodes des films Wishmaster. Sa volonté d’explorer les recoins de l’univers diabolique dans lequel vivent les Cénobites va s’allier à la vision acérée d’un Tony Randel qui se plaît à créer cet Enfer!
Hellraiser 2 : les Ecorchés est rempli de séquences terriblement morbides et pourtant attractives. Il y a une réelle originalité dans le propos et dans le ton adopté, mêlant plaisir et douleur dans un maelstrom déroutant. La vision totalement glauque de la résurrection de cette femme, ou cette scène de rapprochement physique à la fois choquante et magnétique, donnent une puissance émotionnelle impressionnante à l’utilisation de ce personnage. L’aspect immaculé de ce luxueux appartement aux tonalités blanches, traversé par cet être revenant d’un autre monde et qui apparaît comme une singularité sanguinolente, laissant des traces rouges partout où elle passe… Avec Clive Barker, c’est l’interdit qui se fait chair, et c’est cette vision mêlant deux mondes antinomiques qui crée cette sensation de malaise persistant. On se retrouve à mi-chemin entre deux mondes, celui que l’on côtoie tous les jours et qui se veut rassurant, et celui situé dans cette autre strate, de laquelle surgissent des créatures interdites.
Clive Barker est un fervent croyant, ce qui est un terreau très intéressant pour l’élaboration de sa vision de l’Enfer. Le fait qu’il soit homosexuel va également être très intéressant dans cette construction, puisqu’il s’agit d’un interdit pour l’Eglise. Comment concilier cette dualité chez l’artiste? C’est clairement cette dichotomie qui donne son inspiration à Barker, et Tony Randel parvient à retranscrire en images bien mieux que Barker lui-même cette force de l’interdit et des tabous. Hellraiser 2 : les Ecorchés nous présente un Enfer où se mêlent le plaisir et la douleur, comme un héritage du poids social sur les épaules de Barker. Les Cénobites apparaissent alors comme des êtres transgressifs, prêts à tout pour vivre leurs désirs interdits. C’est assez intéressant d’analyser ce film sous le prisme de cette métaphore homosexuelle! Mais il peut également se voir de manière plus frontale, et apparaît comme une version très dark du film Labyrinthe de Jim Henson, tout en partageant de solides connections avec l’excellent Paperhouse datant lui aussi de 1988, et qui est réalisé par, tiens, Bernard Rose, qui mettra en scène Candyman 2 ans plus tard!
Hellraiser 2 : les Ecorchés va bien plus loin que son aîné, en ayant une propension graphique bien plus affirmée. Les images de ce film vont nous hanter longtemps, et elles tiennent leur force du fait qu’elles possèdent une véritable base émotionnelle. La vision de cette gamine assise sur le sol et qui résout des casse-tête est très bien traitée, avec un travail sur la lumière certes un peu daté mais nostalgique, et qui renvoie à un certain savoir-faire de l’époque de Poltergeist. La force visuelle du fameux cube renvoie à des civilisations anciennes et/ou perdues, et est une sorte de Cube Cosmique perverti! Le bestiaire du film impressionne également, avec évidemment Pinhead en tête, joué par Doug Bradley dans 8 films (sur 10) de la saga! Sa tête pointée de clous est une vision à donner des cauchemars, et il est accompagné par des créatures tout aussi repoussantes et fascinantes! Les visions dantesques que vont révéler les corridors de cet Enfer vont convoquer d’une certaine manière Mario Bava, avec une utilisation fantasmagorique des drapés notamment, et on assiste à des séquences cauchemardesques paradoxalement belles! C’est dans cette antinomie, encore une fois, que cet Hellraiser 2 : les Ecorchés parvient à sublimer l’oeuvre initiale, et à être un chef-d’oeuvre macabre et onirique!