C’est sous le pseudonyme de Ian Manook que le journaliste et écrivain français Patrick Manoukian signe sa saga littéraire consacrée au commissaire Yeruldelgger, dont le premier volume est paru en 2013 sous le titre Yeruldelgger. Il sera suivi en 2015 par Les Temps sauvages et en 2016 par La Mort nomade. La particularité de ce polar réside dans son origine géographique, puisque l’action prend place en Mongolie, au coeur des vastes steppes sauvages et des villes qui se sont occidentalisées. Lorsque 3 corps sont retrouvés sauvagement mutilés dans une usine, et que le même jour, à des centaines de kilomètres de là, le cadavre d’une petite fille est déterré, le commissaire Yeruldelgger sait qu’il ne va pas chômer les prochains temps…
Ian Manook (ou Patrick Manoukian donc) nous immerge très rapidement dans ce roman à l’atmosphère particulière, nageant entre l’ancien monde et le nouveau, toujours à cheval entre les traditions ancestrales et l’innovation moderne. Le commissaire Yeruldelgger apparaît comme une sorte de brute épaisse, un ours bougon réfractaire, qui n’a pourtant pas son pareil pour mener à bien ses enquêtes. Cet élément incontrôlable est une belle épine dans le pied pour sa hiérarchie, qui ne sait jamais comment le gérer. Les menaces n’ont aucune prise sur lui, et ce d’autant plus depuis qu’il traîne avec lui un vieux drame qui le hante… On va découvrir peu à peu les différents éléments de son existence, et les relations très spéciales qu’il entretient avec ses proches et ses collègues.
A ses côtés, il peut compter sur la jeune et efficace inspectrice Oyun, qui lui fait entièrement confiance, et sur la médecin-légiste Solongo, qui travaille avec lui depuis de nombreuses années. La relation entre elle et Yeruldelgger est ambiguë, et offre un sous-texte intéressant pour développer la psychologie du héros. Il doit par contre lutter contre d’autres collègues, dont son supérieur qui se fait appeler Mickey (car ça fait plus américain!) ou encore Chuluum, un flic qui aimerait bien l’envoyer à la retraite. Avec ce microcosme, on va découvrir une Mongolie moderne qui semble perdue entre deux époques, avec les yourtes posées dans la steppe et la cité de béton, qui cache sa misère dans ses sous-sols. On apprend notamment que de très nombreuses personnes vivent dans des tunnels glauques et dangereux, car les tuyaux alimentant le chauffage de la ville passent dans ces lieux, ce qui leur permet de dormir dans des endroits avec une température correcte quand il gèle dehors… Et on découvre le mode de vie des nomades qui arpentent les steppes tels des voyageurs…
L’enquête de Yeruldelgger va le mener dans des directions qui vont l’étonner, et il va se retrouver en réel danger au fur et à mesure de sa progression. Entre une bande de faschistes, des chefs d’entreprise étrangers et des flics corrompus, l’étau se resserre autour des responsables des meurtres, mais aussi autour du commissaire et de ses proches… D’ailleurs, on ne peut pas dire que la relation avec sa fille soit au beau fixe… Yerruldelgger, c’est une tranche de vie sauvage qui nous projette loin de ce qu’on a l’habitude de lire, et même si le récit se fend bien de quelques facilités scénaristiques, c’est un polar finalement intéressant et dépaysant, qui ne fait pas réellement de concessions à ses personnages. L’écriture est à la fois brute et belle, embrassant la vision du monde du commissaire, cet homme voulant à tout prix respecter les traditions dans ce monde en perdition, et qui cherche chaque jour une lueur d’espoir pour les siens. Manook traite du temps qui s’écoule entre nos doigts sans que l’on puisse le stopper, des regrets qui nous minent et des fantômes qui sont toujours derrière nous… L’enquête est un beau prétexte à une étude de caractère poussée, et ce commissaire Yeruldelgger est un personnage intéressant.
Ian Manook nous livre donc un roman très réussi, que les amateurs de polar devraient apprécier!