Avec son 8ème long métrage, le metteur en scène Karim Dridi nous convie à une plongée sans concessions dans le quotidien du trafic de drogue à Marseille. Dans le quartier nord, on va se familiariser avec les jeunes qui tentent de s’en sortir en prenant une voie facile mais dangereuse, et on va rapidement se rendre compte de tout ce que sous-tend cette économie parallèle. Chouf ne se veut ni un documentaire, ni une fiction exagérée, et va emprunter aux codes du polar pour nous faire ressentir le réalisme cru de ce que vivent les jeunes dans ces cités. Et comme le soulignait Karim Dridi, il aurait très bien pu tourner son film dans n’importe quelle autre ville, les trafics étant similaires dans tout l’Hexagone…
Un tournage en conditions réelles, de jeunes acteurs non professionnels, un récit basé sur des faits réels… On aurait pu craindre un film hermétique et qui tiendrait le spectateur à distance, mais il n’en est rien, et Chouf impressionne par sa tenue visuelle et ses élans dramatiques. Karim Dridi instille un pessimisme hérité des tragédies grecques, et sa vision en est d’autant plus prenante. Entre les cages d’escaliers sombres et les sublimes hauteurs ensoleillées de Marseille, il va nous conter une histoire de survie, de mort, d’espoir et de rédemption, qui a la rare particularité de pouvoir être ressentie non pas seulement par les gens dont elle parle, mais aussi par les spectateurs qui ne connaissent rien aux quartiers. L’expérience du metteur en scène a permis de faire la jonction entre deux mondes totalement différents et pourtant pas si séparés…
Sofiane, parti étudier à Lyon, rentre chez lui quelques jours à Marseille. C’est à ce moment-là que son frère Slim se fait tuer dans la rue, pour une histoire de drogue. Sofiane est déterminé à comprendre ce qui s’est passé, et à trouver l’assassin de son frère. Toutes ses belles intentions d’étudier vont être remises en question, et il va rester sur place afin de remonter le réseau et venger son frère. Dans ce résumé, on sent là encore l’amour des textes grecs du réalisateur, qui va créer un drame violent et tragique prenant place sous le soleil écrasant de la Cité phocéenne. Sofian Khammes, que l’on a pu voir dans R.I.S. Police scientifique ou Le Convoi, s’avère impressionnant dans ce rôle d’un homme à la fois perdu et déterminé, qui va prendre des décisions risquant bien de modifier tout son avenir. C’est en le suivant que l’on va découvrir toute l’organisation du trafic de shit, et que l’on va comprendre le mode de fonctionnement de cette triste économie locale. Karim Dridi va nous emmener dans un monde où l’amitié peut se défaire en un instant pour le pognon et le pouvoir, et où l’aspect cool des bad boys ne fait pas long feu face à l’implacabilité du business.
Karim Dridi a passé 2 ans à travailler avec des jeunes vivants dans le quartier nord de Marseille, afin qu’ils se familiarisent avec la caméra et les codes du cinéma. 2 années qui lui ont permis de faire émerger des talents insoupçonnés, et qui constituent un casting vraiment solide. Foued Nabba, qui joue Reda, possède une présence physique impressionnante, doublée d’un jeu d’acteur sacrément intense! Il apporte à son personnage de boss local une vraie densité, et les scènes de dialogues ou de violence dans lesquelles il va être impliquées s’avèrent captivantes! Il y a une tension réellement palpable dans ces séquences, et Karim Dridi va la capter et la canaliser avec beaucoup d’intelligence. Zine Darar, Oussama Abdul Aal, Mohamed Ali Mohamed Abdallah, Foziwa Mohamed… De très nombreux jeunes ont pu intégrer le casting et apporter leur contribution à ce film, et ils s’avèrent impressionnants par leur aisance et leur motivation. A leurs côtés, d’autres acteurs possèdent une expérience plus approfondie, comme Nailia Harzoune qui joue Najette, et que l’on a déjà pu croiser dans Geronimo, La Taularde ou Made in France; ou également Tony Fourmann, l’acteur de petite taille qui jouait déjà dans Khamsa de Karim Dridi, et qui campe ici un trafiquant motivé.
Chouf possède tous les ingrédients du polar et du thriller, qu’il va intensifier par la portée naturaliste et froidement réaliste de son propos. La descente aux enfers de Sofiane va être nécessaire pour qu’il trouve le responsable du meurtre de son frère, et on va plonger dans ce récit violent et prenant, capable de nous choquer au détour d’une scène et de nous émouvoir l’instant d’après. Chouf va bien au-delà du simple film de quartier, pour radiographier un pan de la société et démonter tous les mécanismes empêchant la moindre évolution. Le propos de Karim Dridi est fort, et il l’applique avec une aisance visuelle et un sens dramatique impressionnants!