Personne ne doit savoir (Claire McGowan, 2019)

Je dois avoir une attirance inconsciente pour les auteurs irlandais en ce moment, puisqu’après avoir dévoré Traqués, La Chaîne ainsi que la trilogie Michael Forsythe d’Adrian McKinty, voilà que je tombe sur Personne ne doit savoir de la romancière Claire McGowan, qui comme McKinty, est originaire du nord de l’Irlande. Le romancier s’est expatrié très jeune vers les Etats-Unis, tandis qu’elle a préféré aller vivre à Londres. Née en 1981, Claire McGowan est attirée très tôt par l’écriture, puisque c’est à l’âge de 9 ans qu’elle rédige son premier ouvrage ! Un livre qui ne sera pas publié, puisque elle admet qu’il ne possède pas grand intérêt ^^ Mais cela prouve un amour réel des lettres, et c’est en 2012 qu’elle se lancera réellement avec la parution de The Fall, qui l’inscrira rapidement dans un courant policier teinté d’une certaine approche psychologique.

En 2019 paraît Personne ne doit savoir, que l’on peut qualifier de roman policier en mode Desperate Housewives. En effet, on va s’immiscer dans l’existence d’une bande d’anciens amis de fac, qui ont plus ou moins réussi à garder le contact depuis tout ce temps, mais qui n’avaient pas été réunis tous ensemble depuis bien longtemps. Alison et son mari Mike vont accueillir les convives dans leur belle maison du Kent, où ils vivent avec leurs enfants Cassie et Benji. Leurs amis sont composés de Callum et Jodi, de Karen et de Bill. Callum et Jodi attendent leur premier enfant, tandis que Karen est une mère ayant élevé seule son fils Jake, et que Bill est un baroudeur sans trop d’attaches. On plonge très rapidement dans cette histoire, car Claire McGowan commence directement par la découverte du drame ayant eu lieu, avant de remonter quelques heures auparavant pour mettre en place toute son intrigue. Sous ses airs de dîner presque parfait, Personne ne doit savoir possède un rythme et une solidité qui étonneront plus d’un lecteur !

En effet, il y a véritablement un côté Agatha Christie ou whodunit à la Hitchcock, avec comme précisé auparavant une touche moderne à la Desperate Housewives. On pourrait croire que ce mélange pourrait donner une certaine artificialité à ce roman, mais au contraire, la maîtrise d’écriture de McGowan parvient à donner une réelle intensité à ce qui de prime abord pourrait n’être qu’une sorte de variation ludique à la Cluedo. Son approche psychologique est capitale pour donner corps aux personnages et pour souligner les terribles enjeux de cette soirée où tout a basculé, et ce qui aurait pu n’être qu’un simple jeu de recherche du coupable se densifie grâce aux identités diverses des personnages et à leur réalisme. Claire McGowan parvient à faire de ce Personne ne doit savoir un véritable page turner, car les découvertes et les révélations vont s’enchaîner à un rythme soutenu, tout en conservant une bonne dose de réalisme.

Mais qu’est-ce qui a bien pu se passer lors de cette soirée, me direz-vous, alors que ces 9 personnages étaient réunis ? Les retrouvailles entre amis ont été marquées par un terrible drame, puisque en pleine nuit, Karen revient du jardin et entre dans la maison avec des marques de strangulation et du sang, en affirmant que Mike l’a violée. Mike est donc le mari d’Alison, le couple accueillant les convives, et cette révélation va ébranler tout le monde. La police arrive rapidement sur les lieux, et l’enquête démarre afin de déterminer les circonstances et les motivations de cet acte odieux. La soirée a été très arrosée et certains ne se rappellent pas tout ce qui s’est passé, ce qui est le cas de Mike notamment. C’est compliqué lorsqu’on est accusé de viol, même s’il affirme tout de même ne pas être capable de perpétrer un tel acte. La petite bulle des amis vole irrémédiablement en éclat, et Alison va tout faire pour prouver l’innocence de son mari.

Mais les révélations successives vont mette à mal chaque tentative de se raccrocher à quelque chose de solide, un peu comme si on avait l’impression de marcher sur un sol dur mais qui va s’avérer juste composé de sables mouvants. Entre les découvertes sur le passé de la fac et les révélations du présent, Alison va se retrouver dans une tempête psychologique des plus destructrices… Claire McGowan use d’une plume très agréable et envoûtante, qui masque sous sa simplicité apparente une efficacité redoutable ! Son livre s’inscrit de manière très intelligente dans la veine #metoo, avec une vision très réaliste des rapports hommes-femmes évitant la binarité du féminisme idéologique habituel. Chez McGowan, les hommes ne sont pas tous des salauds, et les femmes ne sont pas toutes des saintes, ce qui est à la fois très réaliste et permet de garder un véritable suspense dans la narration. La progression de son roman s’avère très solide, et on est vraiment happé par cette intrigue pourtant toute simple, mais dont on veut connaître la résolution. Le fait de faire le pont entre le présent et la période de la fac, en 1996, avec à l’époque un autre drame ayant frappé cette jeunesse dorée, cela procure une certaine complexité à l’ensemble, tout en permettant de mieux comprendre les événements du présent.

McGowan va traiter de thématiques très sensibles, comme la notion de consentement, et elle va le faire avec une vision à la fois neutre et très humaniste. Une fois encore, on est très loin du féminisme actuel, et ça fait du bien de voir une femme traiter un tel sujet avec une sincérité et une ambition détachées du moindre caractère politique ou idéologique! Les dialogues entre Alison et sa fille Cassie, qui est en âge d’avoir ses premières relations sexuelles, vont s’avérer à la fois touchantes et très réalistes, avec cette sorte de pudeur liée au sujet même. On se rend également compte que la jeunesse actuelle est très exposée face à ces sujets, et Claire Mgowan fait également un pont générationnel pour souligner les évolutions face à ces thématiques. Elle va également s’intéresser aux répercutions médiatiques, ainsi qu’à la façon dont les entreprises gèrent ce type de situation. Car l’image d’un homme accusé de viol n’a rien de bon pour une boîte, et c’est là que l’on voit les limites de la présomption d’innocence. Que ce soit au niveau intime, professionnel ou médiatique, Claire McGowan va traiter son sujet d’une main de maître en oubliant aucune strate de son intrigue, et Personne ne doit savoir est un vrai petit régal !

On n’est pas dans un roman d’infiltration, on n’est pas dans de la SF ambitieuse, et pourtant, sous ses airs de bouquin passe-partout, Personne ne doit savoir va développer un véritable suspense et va s’avérer haletant ! Une très belle découverte avec cette auteure irlandaise que je vous recommande fortement !

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