Sam Esmail est réputé pour avoir créé la série Mr. Robot, dont il a mis en scène la majorité des épisodes (38 sur 45). Il a également créé la série Homecoming dans laquelle figure une certaine Julia Roberts, et on peut déceler chez lui une certaine affection pour les intrigues paranoïaques ^^ Il n’avait à ce jour réalisé qu’un long métrage, Comet, datant de 2014 et où il donne l’un des rôles principaux à sa future épouse Emmy Rossum. Aujourd’hui, il nous gratifie donc d’un second film, qui à priori cartonne sur Netflix. Le casting impressionne, l’affiche est étrange, il n’en fallait pas moins pour que je tente ce mystérieux thriller …
J’avais pourtant quelques à-priori au démarrage du film, car j’aurais eu tendance à le classer trop rapidement dans la catégorie « film légèrement arty qui n’a rien à raconter ». Il est vrai que le début adopte une tonalité un peu absurde avec le monologue de Julia Roberts qui semble assez vain, avec ce regard aigri sur le monde que l’on voit un peu trop souvent, et qui semble relativement artificiel … Mais quelque chose dans la mise en scène m’a intimé de poursuivre, une sorte d’aisance visuelle qui promettait que des éléments allaient sortir de ce moment anodin. On va donc suivre Julia Roberts, Ethan Hawke et leurs enfants qui prennent la route pour un week-end en-dehors de New York. Dans la voiture, on découvre donc les 2 mômes, qui semblent différents des chiards qu’on voit habituellement dans ce genre de production, puisque déjà ils ne s’engueulent pas constamment et semblent se respecter. Mais là encore, la mise en scène va jouer un rôle très important, avec une caméra qui apprécie de se mouvoir dans l’habitacle et sur les routes traversées, pour créer une atmosphère étrange et presque apaisante, qui donne toujours envie de poursuivre …
La famille arrive rapidement dans la superbe maison louée, et on va découvrir cette demeure grâce à une mise en scène très immersive, qui n’est pas sans rappeler la fameuse séquence de David Fincher sur Panic Room qui s’affranchissait des obstacles. Le rendu est à la fois très classe visuellement, présentant une maîtrise absolue de Sam Esmail sur l’espace, et va paradoxalement jouer sur le sentiment diffus de malaise qui va s’installer, avec cette impression justement qu’il n’y a aucun obstacle pour arrêter … Pour arrêter quoi au juste? C’est bien ça qui est très intéressant et très intriguant dans ce film ! ^^ C’est drôle comme l’esprit humain aime à se rattacher à ce qu’il connaît lorsqu’il est aux prises avec des événements qu’il ne parvient pas à qualifier ou dont il ne parvient pas à saisir la véritable nature. Le Monde après Nous va évoquer chez le spectateur différentes oeuvres selon ce que celui-ci a engrangé au préalable, et pour moi, il y a un peu de Us, un soupçon de The Invitation, sans pourtant que le film pioche véritablement dans ces intrigues. C’est juste que mon cerveau avait envie de comprendre ce qui était en train de se passer, et a tenté d’élaborer des théories et d’aller sur du concret. C’est justement là toute la puissance de ce Monde après Nous, qui va discrètement saper les bases de nos certitudes en perturbant nos sens, en venant titiller ce qui nous apparaît comme logique pour venir perturber nos convictions. La manière dont Sam Esmail génère ce malaise progressif est impressionnant, car il le fait d’une manière la plupart du temps non spectaculaire, tout en offrant quelques séquences plus fortes pour affirmer le franchissement d’un certain degré dans le malaise et la parano.
Si l’on voulait vraiment rapprocher ce film hors norme d’une autre oeuvre, ce serait le Knock at the Cabin de M. Night Shyamalan, dont il serait le pendant parfait tandis que le film initial est un beau ratage bavard et vain. Je pense que l’ambition de Shyamalan devait se rapprocher de celle d’Esmail pour son propre film, et ce dernier parvient à rendre totalement crédible son récit, en jouant à la fois au niveau intimiste mais également plus grandiose. On sent l’aura de J.G. Ballard à quelques rares instants, notamment avec ce bateau au loin… Une sorte de crainte face à quelque chose d’immense qui est en train de se passer, sans que l’on parvienne toutefois à expliquer réellement ce qui se déroule. Sam Esmail va en plus apposer quelques touches absurdes pour finaliser de nous perdre (ou de nous envoûter, c’est selon), et il se permet de terminer son film sur une séquence qu’il fallait oser et un thème musical connu de tous et qui dénote tout en étant parfaitement choisi! ^^On sent vraiment que Sam Esmail a maîtrisé de bout en bout cette oeuvre qui lui tenait à coeur, et on en ressort avec pas mal de sentiments mêlés, mais surtout avec l’impression pour une rare fois d’avoir été pris au sérieux par un metteur en scène qui ne nous a pas confié tous les éléments d’un coup comme dans un film lambda. La découverte progressive des événements, l’adaptation progressive des protagonistes, les tensions et les évolutions entre chacun, tout est fait pour que l’on ne puisse qu’avoir envie de plonger plus avant dans cette intrigue déroutante…
Julia Roberts est vraiment bien dans ce rôle de femme légèrement dominatrice et qui n’aime pas les gens; Ethan Hawke joue un homme assez déconstruit et peu sûr de lui; Mahershala Ali est toujours aussi bon, et j’ai tellement hâte de le voir en Blade ^^ ; et c’est toujours un plaisir de revoir ce bon vieux Kevin Bacon! J’ai volontairement omis de parler plus en détail des relations entre les protagonistes, car je pense qu’il faut vraiment les découvrir par vous-même afin d’apprécier cette oeuvre dans sa globalité. Mais Le Monde après Nous est un très grand film, qui se permet des passages visuellement impressionnants (au hasard, la séquence sur la route?) et qui possède une force d’attractivité agissant au niveau intimiste. Une très grande réussite!