Dossier : le JDD, le média à abattre?

Je n’avais jamais ouvert un exemplaire du Journal du Dimanche, média historique fondé en 1948, jusqu’à il y a très récemment. C’est l’avalanche négative tombé sur Geoffroy Lejeune, nommé directeur de la rédaction il y a quelques mois, qui m’a donné envie de tenter la lecture de l’unique journal dominical français. A la date du 22 juin 2023, la rédaction a entamé une grève afin de protester contre la nomination de Geoffroy Lejeune, transfuge du média Valeurs Actuelles qui est officialisé dans ses nouvelles fonctions le 23 juin. Durant les 40 jours de cette grève (qui est la 2ème plus longue dans l’histoire des médias français), de nombreuses voix se sont élevées contre cette nomination, avec notamment la ministre de la culture Rima Abdul Malak, le ministre de l’éducation nationale (alors encore en poste) Pap Ndiaye ou encore Joey Starr. Cela a provoqué un tel déferlement d’indignations que ça m’a décidé à me faire mon propre avis, en allant au-delà du prisme médiatique standard. Chaque dimanche matin, je suis donc allé chercher mon JDD chez le buraliste, et je me suis plongé dans la lecture de ce média porté par un homme catalogué comme d’extrême-droite, intolérant et profondément raciste.

Avec un premier numéro bricolé de manière artisanale et avec un manque de temps évident, on a donc eu une pagination amoindrie et l’aide d’amis et collègues habitués à travailler avec Geoffroy Lejeune afin de pouvoir sortir ce JDD n° 3995 dans les temps, afin de mettre un terme à cette traversée du désert de 40 jours. La 1ère page traite d’un sujet tenant à coeur au nouveau directeur de la rédaction, en mettant en avant le thème de l’insécurité. Geoffroy Lejeune frappe très fort avec cette lettre ouverte émouvante signée par différentes familles ayant perdu un de leur membre lors de « faits divers » devenant de plus en plus banals. Je ne vais pas en sortir quelques phrases ici, car le texte dans son ensemble mérite d’être découvert et ressenti, mais ce mélange de douleur, d’humilité et même de bienveillance ne peut que susciter une grande émotion lors de sa lecture.

On reviendra bien évidemment sur la grosse erreur dans le choix de la photo de cette Une, car l’une des familles mentionnées a vu son enfant Enzo mourir dans l’un de ces faits divers, mais la photo est celle de la famille d’un autre jeune nommé lui aussi Enzo, également victime d’un de ces faits divers. Avec la pression pour sortir le journal dans les temps, avec une équipe de rédaction décimée, cette énorme erreur n’a pas été évitée. Mais lorsqu’on y pense, avoir tant de « faits divers » que l’on puisse trouver plusieurs victimes ayant le même prénom, ça donne là aussi à réfléchir… Au-delà de cette erreur, il faut se souvenir de ce témoignage dur et touchant porté par cette lettre ouverte au Président de la République, et à l’expression des proches des victimes, qui sont trop souvent oubliées et invisibilisées.

Une autre polémique a rapidement émergé après la parution de ce numéro, qui accueillait dans ses colonnes une interview de Sabrina Agresti-Roubache, la nouvelle secrétaire d’état à la ville. Une entrevue en toute franchise de la part de la nouvelle élue, qui a été critiquée pour avoir participé à ce journal. Mais comme elle le dit : « Le pluralisme, c’est accepter la confrontation. Je réponds au JDD comme je me réjouis de l’invitation qui m’a été faite de venir débattre à la Fête de l’Humanité. » Voir une membre de la Macronie être reçue par un journal que l’on veut qualifier d’extrême-droite, ça ressemble davantage à une forme d’ouverture d’esprit et d’échange d’idées…

Quand on a des formations politiques ayant décrété qu’elles ne donneraient plus d’interview au JDD suite à la nomination de Geoffroy Lejeune, on se retrouve avec une volonté affirmée de ne pas débattre, alors que c’est justement dans la confrontation d’idées que l’on peut affiner et travailler ses propres idées. Alors qu’Emmanuel Macron a invité l’ensemble des 11 partis politiques représentés au Parlement il y a quelques jours, avec comme initiative de mettre en commun les idées, pour proposer des projets, des visions communes afin de faire avancer le pays, en quoi le repli sur soi et le refus de dialoguer avec les autres sont-ils force de proposition? Dans ma naïveté, je crois davantage en ce genre de tentative de réunion macronienne qu’a la mise au ban des opposants politiques.

Le JDD va donc faire intervenir différentes figures de tous bords, avec les amis et proches de droite que sont Charlotte d’Ornellas (qui a démissionné de Valeurs Actuelles par solidarité envers Geoffroy Lejeune, renvoyé du média), Pascal Praud ou Mathieu Bock-Côté, mais également des personnalités de gauche comme Manuel Valls, Jean-Marie Bockel ou Karl Olive. Le JDD donne la parole à ceux qui veulent la prendre, quelle que soit leur famille ou mouvance politique, ce qui est quand même très positif! On n’oubliera pas Christine Kelly (dont je vous invite à lire l’excellent livre auto-biographique Libertés sans Expression) pour un article très intéressant et qui la touche directement, puisqu’elle parle de sa Guadeloupe natale en traitant notamment de la gestion lunaire de l’accès à l’eau potable, à cause du pesticide chlordécone qui contamine les nappes phréatiques depuis 1993!

Après un mois et demi et 6 numéros, je peux affirmer que le journal traite de sujets très variés et qu’il le fait avec une lucidité qui fait plaisir à lire. On va parler d’insécurité, qui était déjà un cheval de bataille pour Lejeune dans Valeurs Actuelles, mais aussi de pouvoir d’achat, d’éducation, de sport, de cinéma, d’automobile, de patrimoine culturel… Le spectre est très vaste, et moi qui ne suis pas spécialement connaisseur dans la majorité des sujets abordés, cela permet de faire connaissance avec des domaines qu’il ne me serait jamais venu à l’esprit d’aborder! L’hebdomadaire va donner la parole à des personnalités politiques ou publiques, mais également à de simples travailleurs, ce qui permet de voir la réalité de la vie de manière parfois très frontale. L’article consacré à l’inflation est à ce titre très intéressant, chaque personne interrogée expliquant de manière très concrète comment survivre avec le Smic. Là encore, en quelques paragraphes, on a un article fort rédigé par Lou Pineda, qui met en lumière les difficultés de toute une partie de la population.

Pêle-mêle, le journal va traiter de la guerre des Talibans contre la drogue, avec la destruction des champs de pavot et les centres de sevrage pour drogués; un dossier complet va être accordé au nouveau ministre de l’éducation nationale Gabriel Attal, membre de Renaissance; on va parler de la crise taïwanaise, de la mort d’Evgueni  Prigojine, un article se penchera sur le sujet tabou des hommes battus, on aura une interview d’Alain Giresse et une autre de Michel Platini… Et je repense également à cette interview très émouvante de Betty Gervois, la mère de la jeune Lindsay, qui raconte son calvaire avec une franchise déroutante, et qui parle également de son travail fort avec Gabriel Attal afin de lutter autant que possible contre le harcèlement à l’école… Chaque semaine, le JDD résume une actualité riche et variée, et le fait avec beaucoup de professionnalisme et un travail acharné!

Le JDD donne la parole à ceux qui souhaitent s’exprimer, et on sent un respect pour chaque interlocuteur contribuant à créer ce journal. Si l’on veut qualifier ce journal d’extrême, je dirai qu’il est extrêmement humble et extrêmement lucide. Le reste des dénominations n’est clairement pas mérité par cette équipe et son directeur de rédaction. Après avoir acheté quelques numéros de ce journal afin de me faire ma propre opinion, j’en apprécie la justesse et la plume de ses intervenants, et tant que le JDD fera preuve de cette ouverture d’esprit, je pense bien que je vais continuer à rendre visite à mon buraliste chaque dimanche matin! ^^

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