A l’heure où les 3 premiers épisodes de la seconde salve télévisuelle de la série d’Eric Kripke sont tombés, on a suffisamment de matière pour s’amuser à faire le comparatif entre les différents médias consacrés aux P’tits Gars de Billy Butcher. Dire que le show était attendu est un euphémisme, tant le comics de Garth Ennis et Darick Robertson est sulfureux et tranche dans le vif du domaine super-héroïque. Composé de 72 épisodes étalés sur 6 années (de 2006 à 2012), The Boys constitue une satire virulente de l’univers des super-slips, s’en prenant bien évidemment au passage aux fondement de l’industrie elle-même. La publication même de la série a de quoi faire sourire, puisqu’elle a été annulée au bout de six épisodes par Wildstorm, DC Comics la jugeant un poil trop irrévérencieuse. Ennis et Roberston s’en vont donc chez Dynamite Entertainment, qui va publier l’ensemble de la série au fil des années, laquelle représente un beau succès pour l’éditeur indépendant.
De mon côté, je suivais le comics lors de sa parution chez Panini à l’époque, et je suis en pleine relecture des aventures déjantées des P’tits Gars. J’en suis au 28ème épisode, ce qui me semble suffisant pour tenter une première analyse des différences entre les 2 médias. C’est toujours angoissant quand on adore un comics de le voir propulsé au cinéma ou à la télévision, car on a à chaque fois la crainte de perdre ce qui fait l’essentiel du succès du bouquin. Pour The Boys, la plus grande crainte était bien évidemment de ne pas parvenir à retranscrire toute la folie de l’oeuvre d’Ennis et Robertson. Je ne me suis pas amusé à faire le même comparatif pour la série Preacher, puisque je n’ai même pas tenu un épisode entier…
On va commencer par un personnage emblématique, P’tit Hughie bien sûr! Celui qui était « incarné » par Simon Pegg dans les comics ne pouvait plus l’être dans la série, et la pirouette qui a été trouvée est franchement top, en rendant un bel hommage à l’acteur de Shaun of the Dead. Il faut dire qu’à l’époque où Robertson avait choisi les traits de l’acteur (sans lui demander son avis ^^) pour Hughie Campbell, Simon Pegg était bien loin d’être aussi connu qu’aujourd’hui! Et il avait d’ailleurs été très ravi de tomber sur sa tronche en lisant le comics! ^^ C’est donc Jack Quaid qui lui succède dans la série, et il s’en tire plutôt bien, apportant une certaine fragilité au personnage sans trop accentuer l’aspect geek. Quaid est le fils de Meg Ryan et Dennis Quaid, et perpétue un certain savoir-faire familial dans l’acting.
Le second élément concerne Billy Butcher, personnifié avec classe par Karl Urban, qui va accentuer le côté roublard du leader des P’tits Gars. Dans le comics, Billy est un poil plus respectueux pour son équipe, alors que dans la série, il n’hésite jamais à leur mentir et à jouer de son bagout pour tenter de se sortir des pires situations. La version comics est moins détestable, mais Urban se fait bien plaisir avec ce personnage! Un autre élément très important, c’est bien évidemment le Protecteur de la Patrie, joué par Antony Starr, le génial Lucas Hood de la non moins géniale série Banshee !!! Il personnifie le Protecteur avec un mélange d’ironie et de tension qui en fait au départ un super-héros qu’on croirait juste naïf, mais dont les sourires masquent un manque d’humanité qui va rapidement devenir très flippant. Il faut dire que dans les comics, l’équipe des 7 n’a clairement pas la même importance, et on ne les voit pas avant plusieurs épisodes. Il y avait donc matière à improviser et Antony Starr s’approprie cette variation de Superman grâce à un jeu qui va permettre de saisir toutes les tensions qu’il contient, et ce qui apparaissait comme simplement caricatural à la base va devenir très intéressant.
Par contre, quand on connaît le comics et qu’on sait à quel point Ennis et Robertson ont repoussé les limites de la bienséance (et de la bienveillance pour ses « héros »), ce qui frappe d’emblée à la vision de la série, c’est à quel point elle se retrouve bridée… L’une des premières preuves en est la scène d’orgie super-héroïque à peine esquissée, quand dans les comics, un épisode entier y est consacré, et qu’il ne cache rien des pratiques déviantes des supers. The Boys version comics est une satire ne lésinant ni sur le sexe, ni sur le trash, ni sur le gore pour nous livrer une vision désabusée et explosée d’un genre en pleine expansion. The Boys version série nous balance quelques éléments bien gores (voir Translucide) mais reste tellement gentille dans les dérives sexuelles de ses protagonistes… On comprend bien qu’un arc comme celui présentant le Tek-Paladin est sacrément difficile à transposer à l’écran, mais bordel qu’est-ce que c’est barge et original!!! Ce simulacre de Batman et Iron Man a un gros problème, parce que dès qu’il voit un endroit dans lequel il pourrait fourrer sa bite, il ne peut pas s’empêcher de le faire, ce qui a des conséquences dramatiques, et fait de sa vie un véritable enfer… Il fallait oser aller aussi loin, et sa rédemption sera à la hauteur de cette folie scénaristique! Dans la série télé, Eric Kripke reste bien sage, et peut-être même trop puritain dans sa vision sexuelle des super-héros! D’ailleurs, seul le Profond tente sa chance avec la nouvelle arrivée Stella, là où dans le comics, le Protecteur n’hésite pas à profiter de la naïveté de la jeune femme lui non plus…
La série se regarde et s’apprécie, même si ce sont les 3 derniers épisodes de la saison 1 qui s’avèrent être les plus intéressants. Il y a un potentiel énorme mais qui est encore loin d’être exploité au mieux, malgré des situations intéressantes comme la découverte du Composé V. Mais l’ensemble reste trop dans la retenue pour offrir la folie du comics, alors peut-être que le salut viendra d’un personnage comme celui de Stormfront, qui dynamite les codes et s’avère être dangereuse pour la suprématie du Protecteur? Quand je pense à la frontalité des traitements de divers thèmes comme l’homosexualité, le racisme ou la géopolitique par Ennis et Robertson, il y a de quoi regretter que Kripke ne soit pas plus acerbe… La balade des P’tits Gars en Russie, avec la rencontre de Boudin d’Amour, est un moment juste génial, l’infiltration de Hughie dans une des équipe des G-Men (parodie des X-Men bien évidemment, avec la multiplication des titres mutants dans les années 90) est un excellent moment aussi. L’utilisation du chien de Butcher est géniale, alors que dans la série il apparaît juste brièvement sur une photo; le coup du hamster du Bonimenteur est sacrément dégueulasse, et ne sera certainement jamais utilisé à la télévision. Il y a une réelle folie et une totale absence de limite dans la série de comics, ce qui n’en fait pas pour autant quelque chose de simplement grivois ou trash. On a derrière une vraie volonté d’offrir un écrin politique fort, et l’épisode où Hughie discute avec la Légende est excellent, car il va nous faire une leçon d’histoire sur Vought-American et sur la fabrication des supers. Ennis est très fort pour son apport politique, ce qui était déjà le cas dans ses sublimes épisodes du Punisher, qui figurent parmi les meilleurs consacrés à Frank Castle.
Par contre il y a bien quelques séquences qui sont plus intéressantes dans la série que sur format papier, on pense notamment à la scène du détournement d’avion. Il faut bien avouer qu’elle est assez puissante émotionnellement dans la série, avec des enjeux pour les protagonistes qui auront davantage de répercussion que dans le comics. Même si la relecture du 11-Septembre en comics est bien explosive pour le coup, avec de sales secrets bien taillés pour les complotistes! Le comics se permet pas mal de digressions en multipliant les enquêtes, ce qui va permettre d’élargir le bestiaire super-héroïque, alimenté par l’humour corrosif d’Ennis et Robertson! On découvre Chiktaba, un ersatz de Chewbacca, 2 équipes de G-Men qui ne peuvent pas se blairer, hommage au rap US avec la guerre East Coast-West Coast, un type qui a le pouvoir de balancer une immonde gerbe verte, et des pratiques toujours aussi déviantes dans les maisonnées de tous ces héros. Y a pas, les P’tits Gars ont du boulot… Si la série The Boys se regarde et s’avère plutôt sympathique, elle est malheureusement à des années-lumière de sa version originelle en mode comics, qui est une petite pépite gore, sex et rock’n’roll tout de ce qu’il y a de plus recommandable, et dont l’humour déviant est tellement plus dingue!!!