Enragé (Derrick Borte, 2020)

Un thriller en mode road trip avec Russell Crowe dans le rôle du bad guy? Ca avait de quoi attiser l’attention, surtout après avoir vu qu’il y avait une interdiction aux moins de 12 ans, et la petite note préventive sur Allociné : « La tension extrême et la répétition des scènes de violence sont de nature à perturber certains spectateurs. » On se disait que le propos très moderne sur l’incivisme et l’agressivité au volant allait bénéficier d’un traitement bien radical et frontal.

Niveau violence, il est vrai que certaines scènes vont plus loin que le tout-venant hollywoodien, mais ça reste très ponctuel, et on peut quand même se demander où est la « tension extrême »… Le film n’en est pas dénué, mais il y a tellement d’éléments qui la desservent… On a une intro pas trop mal qui démontre à quel point le personnage de Russell Crowe n’en a plus rien à foutre de rien, et qui va le placer dans un rôle de boogeyman automobile anonyme (son nom ne sera jamais cité), et on pense bien évidemment au Duel de Spielberg. Mais l’intelligence de Steven tenait au fait de ne quasiment jamais montrer le conducteur de ce camion, conférant la toute-puissance diabolique au véhicule lui-même. L’anonymat total de son personnage (uniquement mentionné comme Le conducteur du camion) est bien plus approprié que pour Enragé, où le nom est le seul élément que l’on ne connaît pas de celui qui est qualifié par le terme générique L’Homme. On connaît les éléments qui l’ont poussé au point de rupture, on voit son visage sans arrêt, ce qui lui fait perdre toute sa force mystérieuse.

Pourtant au début, Derrick Borte s’amuse à mettre son 4X4 en avant en le filmant tel un animal sauvage et dangereux, mais pour la suite, il doit être obligé par contrat de montrer sans arrêt le visage bouffi de Russell Crowe. Et quand on a un homme qui respire comme un boeuf et qui est bourré aux anxiolytiques, ça amoindrit forcément sa portée viscérale et flippante… Et si ce n’était que ça, ça irait, mais le film va se mettre à rapidement enchaîner des incohérences de plus en plus énormes, ainsi que des poncifs qui vont faire vriller le film de thriller à quasi-nanar. En moins drôle malheureusement. Quand on a un individu qui a du mal à mouvoir son corps énorme, on se demande bien comment il a pu piquer le téléphone de sa victime… Et je ne vous spoile pas toutes ses prouesses physiques, parce que vous allez dire que j’abuse. Mais c’est le scénariste Carl Ellsworth qui n’en a rien à foutre du réalisme, et qui fait de son Boeuf (ou de son Homme) un personnage tantôt lourd et costaud, tantôt léger et discret comme une plume, au détriment de toute crédibilité…

Il ne s’agit clairement pas du meilleur rôle de Russell Crowe, qui se contente d’étreindre son volant en soufflant très fort et en poussant des borborygmes durant tout le film, et ce n’est pas sa partenaire Caren Pistorius qui ajoutera davantage de tension, vu qu’elle passe son temps avec les mains crispées sur son volant en lançant des regards apeurés dans le rétroviseur. On a ici la description de la moitié des plans du film, avec de légères variations d’angles de caméra. Et quand arrive une fin aussi bâclée qu’attendue, on se dit qu’on tient là un candidat de choix pour le meilleur téléfilm du lundi après-midi sur TF1. Franchement, je suis déjà tombé sur des téléfilms qui avaient davantage de prestance, et dont les personnages avaient un minimum d’intérêt. Ici, c’est le néant total, Rachel parvenant à être rapidement énervante avec ses réactions, et L’Homme étant un individu bas du front sans relief.

Il y avait pourtant de quoi lancer une intrigue prenante avec ce propos sur l’incivilité et les violences routières, et le plus intéressant dans ce film reste donc le générique de début, qui annonce la couleur avec ce qui semble être des images d’archives de vrais conflits routiers. Là on a une tension, qui ne sera retrouvée qu’à un ou deux moments dans le film. Mais le scénario est tellement peu crédible, avec cet individu qui va prendre l’ascendant sur cette femme en lui ordonnant de faire des choix drastiques à la Saw… D’ailleurs, c’est aussi en instaurant un dialogue entre les deux que le film perd rapidement tout intérêt, puisque l’aspect mystérieux du conducteur de Duel provient justement de l’absence de justification de ses actes, tandis qu’ici, on a un Boeuf qui veut à tout prix avoir ses excuses… Et les dialogues sont tellement insipides d’ailleurs… Bref, il n’y a rien à sauver dans cette daube, et l’ultime plan avec les drapeaux américains renvoie à une certaine tradition de films ratés mais patriotiques.

Ah oui, qu’on ne vienne surtout pas comparer ce film au Chute libre de Joel Schumacher, ce serait un affront à la prestation de Michael Douglas et à la portée sociale bien plus efficace de cet excellent thriller!

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