Harcèlement (Michael Crichton, 1993)

Avant le film de Barry Levinson avec Michael Douglas et Demi Moore, Harcèlement est un bouquin de Michael Crichton paru en 1993, qui relate de manière passionnante l’histoire d’un employé d’une société de technologie de pointe pris dans la tourmente d’une affaire de harcèlement sexuel au travail. Alors qu’il était dans l’attente d’une promotion imminente, Tom Sanders se retrouve pris dans les filets de la machiavélique Meredith Johnson, qui l’accuse d’agression sexuelle.

Comme de coutume dans ses romans, Michael Crichton soigne les aspects procéduriers et hiérarchiques en créant toute la structure organisationnelle de cette société qu’est Digital Communications Technology, implantée à Seattle et en pleine essor grâce à la fabrication des CD-ROM et des téléphones cellulaires. Qu’il s’agisse des aspects techniques, relationnels ou administratifs, il ne laisse rien au hasard en créant une structure très élaborée et très précise qui va être capitale dans le déroulement des événements à venir. Tout en plaçant Tom à l’intérieur de cette société, il va également placer cette dernière dans le monde des affaires de Seattle et va également mettre en avant son rayonnement à travers le monde.

Tom Sanders est un travailleur acharné à la vie de famille avec ses hauts et ses bas, et représente le cadre américain typique avec sa maison en banlieue et son avenir tout tracé. Mais un granin de sable inattendu va mettre à mal cette évolution logique, en la présence de Meredith Johnson, une femme d’affaires aussi impitoyable que séduisante, et que Tom connaît bien puisqu’il est sorti avec elle 10 auparavant. Lorsque Meredith est nommée à DigiCom et qu’elle devient la supérieure de Tom, celui-ci à du mal à se faire à ce changement aussi soudain, surtout qu’elle a obtenu le poste qu’il pensait avoir…

Venant du siège de Cupertino, là où ils s’étaient rencontrés, Meredith a donc gravi les échelons, passant de commerciale au poste de directrice de plusieurs divisions à Seattle. Avec ce personnage, Crichton évoque évidemment les profonds changements de mentalité au sein des entreprises avec l’accession des femmes au pouvoir, et en cette période de mutation technologique et structurelle, le récit qu’il va entamer n’a rien d’anodin. L’auteur va mettre en avant une particularité qui se joue des sexes, tout en utilisant le sexe. Si le harcèlement sexuel est en majorité le fait d’hommes abusant de leur pouvoir sur des femmes, l’inverse existe aussi, et les plaintes déposées par des hommes contre leur supérieures est en augmentation constante, du fait de l’accession des femmes à des postes élevés. En 20 ans, le pourcentage des plaintes émanant d’hommes a doublé aux Etats-Unis, passant de 8 à 16 % selon une étude de 2010 effectuée par l’Equal Employment Opportunity Comission. Ce que souhaite donc démontrer Crichton dans son livre, c’est que ce problème ne vient aucunement du sexe de la personne mise en cause, mais de sa fonction et du pouvoir qu’elle exerce. Qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme importe peu au final, car c’est le pouvoir qui va pousser les personnes à se croire supérieures.

C’est avec une approche très consciencieuse que l’auteur va mettre en place son récit, et il va placer Tom dans une situation qui semble inextricable, dans laquelle il va être abusé par sa supérieure tout en étant accusé d’être l’auteur d’agression sexuelle. Le sujet très délicat du harcèlement sexuel fait quasi-instantanément tenir le rôle du coupable à l’homme, et malgré le fait d’avoir été la victime de Meredith, Tom se retrouve donc accusé. Dès lors, il va tenter de se tirer de ce cauchemar dans lequel ses collègues vont s’éloigner de lui et sa réputation se ternir soudainement. C’est la rencontre avec Louise Fernandez, avocate spécialisée dans le domaine du harcèlement sexuel, qui va être déterminante pour la suite des événements, en permettant à Tom de prendre des initiatives afin de se sortir de ce très mauvais pas.

Crichton va mettre en branle le processus judiciaire visant à faire éclater la vérité, et c’est donc à une bataille d’ordre juridique autant qu’humaine qu’il va nous convier. Si Tom est acculé, il ne va pourtant pas se retrouver seul, ce qui va lui permettre de trouver des pistes afin de prouver son innocence. Car comment prouver ce qui s’est passé dans ce bureau ce soir-là, alors qu’il se trouvait seul avec Meredith sans aucun témoin? C’est la délicate missions que Louise Fernandez a accepté, et c’est à un très savoureux combat judiciaire que l’on va assister, avec des rebondissements très crédibles et très documentés. Harcèlement se révèle être véritablement passionnant, d’autant plus qu’il dépeint une situation inversée par rapport aux plaintes habituelles et qu’il se place donc dans une approche très moderne du problème. Michael Crichton se plaît à puiser dans ses sources afin de construire une oeuvre forte et très réaliste, se plaçant dans une réalité économique, sociale et culturelle très précise. En ce début des années 90, un tel fait est d’autant plus déroutant pour un homme qu’il risque de faire jurisprudence. Même en étant dans son bon droit, Tom doit faire avec une certaine forme de culpabilité qui est inhérente à sa condition d’homme, alors qu’il est lui-même victime d’une femme. Si Crichton dépeint de manière admirable tout l’appareillage judiciaire, il démontre avec beaucoup de subtilité les tensions personnelles qui rejaillissent sur la vie privée de Tom, avec les sentiments contradictoires, la culpabilité et le désespoir. Mais Louise Fernandez est une avocate de talent, et elle va tout faire pour sortir Tom de cette situation.

Passionnant d’un bout à l’autre, Harcèlement démontre la fragilité des points de vue et le jeu de destruction opéré par le pouvoir, avec un cadre délaissé par les hautes instances au profit de sa supérieure. Michael Crichton écrit encore une fois un roman qui se dévore très rapidement, et dans lequel il ne peut s’empêcher de parler de technologie, avec ces passages sur la réalité virtuelle vraiment intéressants!

 

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