Après sa mini-série pas trop captivante Dead Set en 2008, Charlie Brooker s’essaie à l’anthologie en 2011 avec Black Mirror. Pas très généreuse en épisodes (simplement 3), cette saison s’avère pourtant d’une inventivité folle et d’une précision diabolique dans ses récits! 3 épisodes qui n’ont aucun lien entre eux, mais qui offrent un regard hautement aiguisé sur notre société et le futur oppressant qu’elle risque de nous offrir…
3 épisodes de 45 minutes pour un concept remettant au goût du jour les séries du genre La quatrième Dimension, avec des concepts très simples aux conséquences irréversibles. Le 1er épisode, The national Anthem, s’intéresse à la position du premier ministre anglais lors de la prise d’otage de la princesse Susannah. La belle et très populaire jeune femme est séquestrée par des individus qui ont envoyé une vidéo à destination du premier ministre, avec des conditions et un ultimatum. Pour sauver la princesse, le premier ministre va devoir avoir une relation sexuelle avec une truie, le tout filmé et retransmis en direct sur internet!!! Les bases absurdes sont posées, et on pourrait s’attendre à un épisode totalement comique et déjanté, mais Charlie Brooker utilise ce concept dingue d’une toute autre manière, en le traitant avec réalisme et en usant d’un suspense très fort! L’argument comique fait place à une vision très dramatique de la situation, en montrant les différentes tentatives de retrouver la princesse et en essayant de repousser l’échéance fatale exigée par les ravisseurs.
Fifteen Millions Merits est sans conteste le petit bijou de cette série, avec son univers ultra aseptisé où les gens vivent dans une minuscule pièce entourée d’écrans, où la publicité est omniprésente et intrusive (il faut payer pour la zapper), et où la classe moyenne passe ses journées à pédaler sur des vélos afin d’accumuler des crédits. Une parabole hautement symbolique de la déshumanisation du travail et des classes sociales, doublée d’une critique très intelligente de notre société qui s’enfonce dans la télé-réalité jusqu’au cou. Les 15 millions du titre, c’est le prix que coûte le billet d’entrée pour l’accès aux sélections d’Hot Shot, l’émission phare révélatrice de talents, qui permet aux plus chanceux de devenir des stars et d’arrêter de pédaler pour gagner leur vie. La critique acerbe d’un système où la reconnaissance passe uniquement par la notoriété publique est là encore symbolique, et c’est d’autant plus intéressant que la série est produite par la société de production Zeppotron, qui appartient en fait au groupe international Endemol, le créateur de nombreuses émissions de télé-réalité comme Big Brother et ses différentes déclinaisons (Secret Story chez nous…), Fear Factor, Star Academy… Une manière peut-être de se faire pardonner tant de moments de télévision si ineptes? En tout cas, les gars de Zeppotron ont les coudées franches pour aller au bout de leur concept, et cet épisode est énorme, bénéficiant d’une atmosphère ultra-travaillée et d’une justesse exemplaire, avec des acteurs talentueux et totalement impliqués.
Le concept du 3ème épisode est là encore très astucieux, avec un futur proche où les gens peuvent s’implanter une puce qui va enregistrer chaque instant de leur vie, en leur permettant de les visionner à volonté. Ainsi, quand un homme sort d’un entretien d’embauche, il se repasse les réactions des personnes qui lui faisaient face afin de déterminer si elles sont plutôt positives ou négatives. Mais le concept va être mené légèrement plus loin par les auteurs, qui vont pousser un homme soupçonneux à chercher si sa femme le trompe… Ambiance très paranoïaque et tendue pour ce The entire History of you qui va démontrer les dérives de l’image au sein de notre société, où les individus enregistrent tout et peuvent constamment remonter dans le passé pour prouver que l’autre avait tort ou raison. C’est rudement ingénieux, c’est encore une fois très bien joué, et comme le reste des épisodes, c’est tourné de manière très intelligente.
Le concept de base de cette série est de mettre en avant notre besoin constant de vivre avec nos ordinateurs, nos téléphones portables, nos tablettes tactiles, nos écrans de télévision, toutes ces surfaces réfléchissantes qui sont le reflet de nos âmes qui se perdent de plus en plus, miroir froid et sombre révélateur de nos peurs et de nos défauts les plus profonds. Black Mirror est peut-être avare en épisodes, mais quand on voit la qualité qui les habite, on ne peut qu’adhérer à cette vision extrêmement talentueuse servie par Charlie Brooker!