Christopher Frank est un écrivain, scénariste et metteur en scène français d’origine britannique (il est né en Angleterre), qui a connu un certain succès dans les années 80, avec notamment ses propres adaptations de roman que sont Josépha et L’Année des Méduses. En tant que réalisateur, il ne livrera que 5 longs métrages, mais aura par contre eu une carrière de scénariste plus longue, en travaillant notamment sur Le Mouton enragé de Michel Deville, Les Passagers de Serge Leroy, La Dérobade de Daniel Duval ou encore Pour la Peau d’un Flic d’Alain Delon. En 1982, il obtenait le César du meilleur scénario pour Une étrange Affaire de Pierre Granier-Deferre, et en 1983, le César de la meilleure première oeuvre lui fut décerné pour son film Josépha.
En découvrant L’Année des Méduses, on comprend aisément l’impact que Christopher Frank a pu avoir sur le cinéma français, car il possède un vrai talent pour dépeindre la complexité des rapports et de la psyché humaine. Chris, une ado d’une famille aisée, se trouve comme chaque année sur la Côte d’Azur avec sa mère, et va multiplier les rencontres sur la plage. Sous son insouciance de jeune femme en devenir, se cache un tempérament bien plus vénéneux, et la jeune fille va se complaire dans des jeux de destruction en jouant avec les sentiments des autres, et principalement les hommes. Depuis l’âge de 16 ans, Chris est tout à fait consciente de l’emprise qu’elle peut avoir sur les hommes, et ne se prive pas d’en user, notamment avec un ami de ses parents. On découvre une jeune femme qui va rapidement affiner sa maîtrise d’un outil redoutable, la séduction.
Valérie Kaprisky, alors âgée de 22 ans, venait de tourner La Femme publique d’Andrzej Zulawski, avec un rôle déjà sulfureux, et ces choix de carrière vont l’imposer comme une icone sensuelle tout en l’enfermant pendant un temps dans ce style de rôles. Sur le tournage de L’Année des Méduses, elle est la seule à défendre son personnage, que tout le monde voit comme un monstre, et elle va exacerber tout le cynisme de Chris, entrant de plus en plus profondément dans la peau du personnage, ce qui aura pour effet de créer une atmosphère relativement tendue avec les autres acteurs. Elle ne laisse clairement pas indifférent, et offre une prestation réellement impressionnante, passant de l’ado tourmentée au machiavélisme en une fraction de seconde! Le pauvre Vic, l’ami quinquagénaire des parents, va en faire les frais… Jacques Perrin interprète avec beaucoup de conviction ce personnage totalement enivré par la jeune femme, conscient de se faire manipuler mais incapable de s’avouer qu’elle puisse être aussi calculatrice.
La relation avec sa mère Claude est également très intéressante, car elle oscille constamment entre affection et rivalité, et les moments de complicité laissent rapidement place à des instants plus tendus. Caroline Cellier a obtenu le César de la meilleure actrice dans un second rôle pour son interprétation de Claude, et elle s’avère très subtile en incarnant cette femme sentant qu’elle risque d’arriver en fin de course dans les jeux de séduction… Voir sa fille Chris s’émanciper peu à peu va évidemment lui rappeler l’approche de sa propre quarantaine… Bernard Giraudeau quant à lui incarne efficacement le genre de type qui traîne sur les plages pour draguer tout ce qui bouge, avec une suffisance et un manque d’estime pour les femmes assez impressionnant. Il est bien conscient de tout ce qui se trame sur ces plages, refuge pour une classe aisée en perte de repères, et très souvent en manque affectif. Il profite des failles de cette population, en les exploitant pour ses propres besoins et en faisant le mac pour certains hommes riches.
Christopher Frank appose une atmosphère très travaillée sur ce long métrage, qui commence comme un film de plage classique pour l’époque, mais qui ne va clairement pas rester en surface, et qui va explorer en profondeur la psychologie de cette classe aisée en quête d’émotions. Ce qui choque de prime abord, c’est une certaine aura libertaire dans les années 80, avec la plupart des femmes se baladant seins nus, ce qui de nos jours a presque disparu. Il y a une réelle sensualité dans la manière de filmer de Frank, qui ne verse pas dans l’érotisme, mais qui s’en rapproche à certains moments. On sent des envies de provocation de la part de Chris, qui vont être mêlées à des frustrations, et elle va passer par des phases de rage contenue et de froideur calme exprimées de manière impressionnante par Valérie Kaprisky. Cette séquence où elle plonge dans l’eau toute énervée, avec la musique de Nina Hagen par-dessus, possède une vraie puissance, et le regard noir de l’actrice est assez glaçant. Valérie Kaprisky apporte une véritable intensité au personnage de Chris, intensité qui va osciller entre le chaud et le froid de manière permanente, et elle va entraîner plusieurs personnes dans ses filets…
L’Année des Méduses s’avère impressionnant dans son traitement de la sensualité et des rapports de force entre les hommes et les femmes, le tout mené par une actrice au tempérament explosif qui fait de Chris un personnage de Lolita sacrément vénéneux!!!