Olivier Norek est un auteur français spécialisé dans le polar, à qui l’on doit une série de romans centrés sur le capitaine Coste : Code 93, Territoires et Surtensions. Avec Entre deux Mondes, il laisse temporairement son personnage fétiche de côté pour nous embarquer dans une réalité qui a eu lieu officiellement du début des années 2000 à 2016, mais qui perdure toutefois encore aujourd’hui. En lisant la 4ème de couverture, j’ai été interpellé par cette accroche mystérieuse : « Adam a découvert en France un endroit où l’on peut tuer sans conséquences. » Je me suis donc laissé tenté et j’ai voulu connaître cet endroit hors normes pourtant situé sur notre territoire. Comment un lieu en France pourrait-il permettre de telles exactions sans que la justice tente d’arrêter les auteurs de meurtres?
La réponse est à la fois simple et pas si évidente : cela se déroule dans la Jungle de Calais. On a tous entendu parler des migrants qui se réunissaient dans ce camp avec pour seul espoir le passage vers l’Angleterre. Calais étant le point le plus proche du Royaume-Uni, la ville a cristallisé tous les rêves de liberté de milliers de réfugiés, venus en famille ou morcelés, avec des membres encore restés au pays. Fuyant les guerres ou les dictatures, les étrangers qui arrivaient en France provenaient d’Afghanistan, de Syrie, d’Irak, d’Erythrée… La Jungle a « accueilli » des milliers d’habitants, avec un pic de population à presque 10 000 personnes! Sachant qu’elle est établie sur une superficie de 4 km carré, on arrivait à une densité moyenne de 2250 personnes par kilomètres carré en 2016…
Olivier Norek, qui a été bénévole à Pharmaciens sans Frontières, a une expérience de l’intérieur de ce que peuvent vivre les réfugiés (c’était avant la Jungle, notamment avec des personnes venant d’ex-Yougoslavie). Il est ensuite entré dans la police, où il est devenu lieutenant. Il s’est donc naturellement orienté vers le polar dans ses écrits, et a donc choisi également de traiter de ce sujet explosif qu’était (est!) la Jungle… Car aujourd’hui, il y a encore 2000 personnes présentes… Le style très précis et direct de Norek colle parfaitement à ces évocations multiples d’existences qui vont s’entrecroiser, et la brutalité du propos est relayée par une plume brute et incisive.
On va suivre cette femme et sa fille en fuite traversant la Méditerranée pour rejoindre l’Angleterre, ce flic Syrien qui n’en peut plus de voir les atrocités perpétrées au nom de Bachar Al-Assad, un flic français qui débarque à Calais et qui va découvrir une réalité à peine crédible… On va avoir plusieurs points de vue sur cet état de fait, ce centre névralgique concentrant tous les espoirs et toutes les frustrations de gens déracinés, et qui n’ont plus grand-chose à quoi se raccrocher… Sous cette surface rugueuse se cache une vision humaniste, qui est certes terriblement bousculée par ce qu’elle découvre, mais qui décide coûte que coûte d’exister encore. Olivier Norek nous embarque dans un récit qui fait mal, et on se prend de bons uppercuts dans la face.
Mais c’est justement cette capacité à adopter un ton neutre et percutant qui permet de montrer la déshumanisation des gens vivant dans ce camp. C’est du direct dans la face, et ça ouvre les consciences de manière tranchante… Et surtout, l’auteur ne fait pas dans le pathos, et nous embarque dans des scènes qui vont susciter de l’émotion là aussi de manière brute. Je ne dévoilerai pas grand-chose du récit, car il sera d’autant plus prenant si vous vous y aventurez, mais l’auteur sait comment se nourrir du réel pour que sa fiction soit aussi réaliste que possible. D’ailleurs, il le dit dès l’entame du roman « Face à la violence de la réalité, je n’ai pas osé inventer. Seule l’enquête de police, basée sur des faits réels, a été romancée. » Ca fait d’autant plus froid dans le dos…
Olivier Norek va adopter le point de vue des migrants vivants dans le camp, mais aussi celui des flics chargés de contenir les tensions du camp… On a des gens qui ne cherchent qu’à s’en sortir, d’autres qui veulent faire le mal, certains usant de violences pour parvenir à gagner l’Angleterre, et le problème de cette Jungle s’avère relativement complexe. Les routiers sont pris d’assaut par certains migrants, les migrants se battent entre eux, les flics tentent de contenir cette marmite bouillonnante avec violence aussi… Le fait d’avoir plusieurs sons de cloche, avec des migrants à bout et des flics qui n’en peuvent plus non plus, montre à quel point cette situation cauchemardesque affecte tout le monde… Et dans ce microcosme, une économie locale, des gens qui s’entraident, et toujours cet espoir ténu qui tente de perdurer…
Entre deux Mondes prend réellement aux tripes, nous faisant découvrir un monde que l’on ne peut pas connaître si on ne fait pas partie des autorités ou d’organisations humanitaires, et ce roman est une descente captivante et terrifiante dans une réalité que l’on peut difficilement concevoir… Norek a justement ce don de nous y embarquer totalement, et de passer de l’horreur à l’espoir, cheminant entre les différentes existences évoquées qui vont se battre chacune à sa manière, avec les armes dont elle dispose, et avec la force intérieure qu’elle conserve. Il y a dans ce roman une humanité poignante face à une réalité désarmante, et Entre deux Mondes mérite vraiment d’être découvert!