Le Pont des Espions (Steven Spielberg, 2015)

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Mardi soir avait lieu l’avant-première du Pont des Espions au Kinépolis Mulhouse, et les gagnants du concours Talking Wade en partenariat avec le cinéma ont pu découvrir le dernier film de Steven Spielberg!

Quand on cite Spielberg, les premiers films venant à l’esprit possèdent une touche enfantine et fantastique: E.T., l’Extra-terrestre, Les Aventuriers de l’Arche perdue, Hook ou la Revanche du Capitaine Crochet, Jurassic Park… Mais le cinéaste oscille constamment entre cet univers naïf et féérique, et un autre bien plus adulte et désespéré, nous dévoilant des œuvres comme La Liste de Schindler, Amistad ou Il faut sauver le Soldat Ryan. Cette ambivalence dans son cinéma reflète sa vision accomplie et entière du genre humain, qu’il dévoile dans ses œuvres avec toujours une prédilection pour les âmes pures, qui se débattent dans un monde où la noirceur s’étend, et qui résistent comme elles peuvent en tentant de faire subsister l’espoir. C’est probablement ce thème récurrent qui convient le mieux pour qualifier son œuvre, cet espoir étant l’essence même de chacune de ses histoires. Et son segment de La quatrième Dimension (1983) est probablement l’exemple le plus frappant de la force qu’il accorde aux rêves et à la volonté…

ST. JAMES PLACE

Le Pont des Espions entre dans une autre catégorie spielbergienne, celle des films historiques, comme La Couleur pourpre, Empire du Soleil, Cheval de Guerre… S’il revient régulièrement sur le thème de la guerre, c’est toujours avec une volonté de comprendre comment l’être humain peut s’adapter à ces périodes difficiles, et comment il peut lutter pour sa survie et celle des autres. La Liste de Schindler est à ce titre très parlant sur ce thème, et les origines juives de Spielberg renforcent encore la sincérité et l’aspect personnel de son propos. Avec Le Pont des Espions, il va traiter le thème du conflit sous un nouvel aspect, en traitant de la Guerre froide, période de haute tension entre les Etats-Unis et le bloc russe. Il va raconter l’histoire atypique et étonnante d’un avocat doué et à la vie tranquille, James Donovan, qui deviendra malgré lui un élément clé de ce conflit étouffant entre les 2 puissances. Donovan a réellement existé, et le film relate donc sa véritable histoire, bénéficiant de l’interprétation d’un Tom Hanks toujours aussi investi.

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Lorsqu’un espion russe est arrêté sur le territoire américain, c’est Donovan qui est choisi pour le défendre. Le gouvernement souhaite démontrer que son système judiciaire permet à tous de bénéficier d’une défense solide et d’un procès équitable, mais derrière cette façade humaniste se cache une hypocrisie réelle, puisque le juge lui-même se fiche éperdument du procès et souhaite l’exécution du Russe. Mais c’est sans compter sur le réel humanisme de Donovan, qui souhaite apporter une aide véritable à Rudolf Abel, en qui il voit un homme simplement fidèle à son pays. Comme il l’explique, il y a en URSS des espions américains qui effectuent le même type de missions pour le compte de leur propre pays, Abel agit en conséquence comme un patriote. Mais surtout, Donovan va découvrir en Abel un être sensé et sensible, bien loin de l’archétype du Mal communiste tel qu’il est expliqué dans les écoles…

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Spielberg va s’approprier cette période avec un sens du réalisme impressionnant, et la recomposition de l’Amérique des années 50-60 s’avère visuellement très réussie. On plonge dans cette période difficile avec un mélange de nostalgie et de crainte, et le metteur en scène retranscrit la peur du conflit atomique avec soin, jusqu’à nous montrer les programmes vidéos passant dans les écoles pour prévenir les enfants. On sent l’innocence perdue et cette anticipation du risque nucléaire, et Donovan va en partie accepter sa mission suivante pour prévenir une possible guerre entre les deux nations. Car si la défense d’Abel est une épreuve difficile, la suite le sera bien plus. Quand il est appelé pour échanger Abel contre un soldat américain tombé aux mains des Russes, il va devoir jouer le rôle de négociateur dans une tractation qui le dépasse, et dont les enjeux moraux et politiques vacillent considérablement.

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Le Pont des Espions va relater des faits avérés tout en rajoutant quelques éléments dramatiques, mais ce récit est surtout intéressant par sa véracité. La mise en image de Spielberg obéit à un classicisme cher à l’auteur, et on est en terrain connu avec sa mise en scène soignée et maintes fois imitée. Se basant sur un script signé Matt Charman et la paire Ethan Coen et Joel Coen (scénaristes et réalisateur de Fargo, The big Lebowski ou encore Inside Llewyn Davis), le film se suit agréablement car il obéit à des codes spécifiques du film historique, et qu’il maintient un intérêt constant pour ses personnages et son intrigue. Il aurait cependant gagné en caractère s’il avait accentué le suspense et la tension, mais en l’état, il représente une oeuvre réussie. On suit les tractations diplomatiques et les coups politiques qui se jouent dans l’ombre, et James Donovan sera finalement envoyé en RDA en tant que simple civil, sans accréditation aucune de la part de son gouvernement. Un homme seul envoyé en territoire hostile négocier la vie d’un espion américain contre celle d’un espion russe…

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Le méconnu Mark Rylance campe un Rudolf Abel confondant de simplicité et de résignation, et les scènes entre lui et Tom Hanks s’avèrent très touchantes. Le condamné à mort et son avocat, ce dernier s’inquiétant bien plus que l’espion du sort qui lui sera réservé… La relation entre ces deux opposés qui vont pourtant parvenir à un respect mutuel est un élément important de ce film. Le second élément le plus intéressant est la plongée dans une Berlin littéralement déchirée en deux, avec la construction de cet odieux mur dans la nuit du 12 au 13 août 1961, et qui perdurera jusqu’au 9 novembre 1989… La ville ne s’est pas relevée de la Seconde Guerre mondiale, dont les stigmates sont encore omniprésents. Le climat de peur et de mort qui y règne est accablant, et Donovan va débarquer dans ce sombre univers pour tenter d’en extirper deux citoyens américains.

La reconstitution historique est intéressante, et Le Pont des Espions fonctionne en grande partie grâce à l’aspect réaliste de cette plongée dans le passé. Mais sur ses 2h21, il aurait pu être plus prenant en travaillant davantage sur le suspense. En l’état, il constitue un film qui ne figurera pas parmi les meilleurs de son auteur, mais qui nous explique avec soin des événements sombres et difficiles.

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