Vincent doit mourir (Stéphan Castang, 2023)

Après avoir réalisé 4 courts et un épisode de série (Demain si j’y suis), Stéphan Castang a franchi le pas vers le long métrage l’année dernière, et il est difficile de se dire qu’il s’agit de son premier essai tant il s’avère maîtrisé ! En se basant sur un excellent script signé Mathieu Naert, Castang va dérouler un récit très déroutant qui va osciller entre différents genres en gardant un réel suspense pour le spectateur quant à la finalité de ses intentions. Dès le début, avec ce dialogue en plan serré qui va s’élargir ensuite, on ne sait pas vraiment si on va vers quelque chose de léger ou de plus tendu, et Stéphan Castang va créer une atmosphère atypique dans laquelle il va doser très efficacement le stress et une certaine absurdité. Vincent doit mourir va apparaître comme une oeuvre très réaliste, alors que son postulat va mener son personnage principal dans des directions très étranges…

Vincent est un homme lambda, ayant un boulot et une vie sans trop de reliefs, et qui commence à se faire agresser régulièrement sans raison apparente. Il va devoir réagir à cette violence de plus en plus présente, et modifier radicalement son mode de vie. C’est très difficile de parler de ce film sans trop en dévoiler, mais je trouve qu’il est d’autant plus impactant si on en sait le moins possible, donc je vous conseillerai de lire la suite une fois le film vu 😉     SPOILERS !

SPOILERS !

 

J’ai découvert Karim Leklou avec Bac Nord, et je le trouve excellent dans ce rôle qui va jouer sur les paradoxes, puisque Vincent est un homme très effacé qui va devoir agir de manière radicale face aux événements qui sont en train de lui arriver. Il est parfait dans la peau de cet homme sans histoire qui va se retrouver à devoir s’adapter à une existence faite de violence et de paranoïa, et dans un sens ça me fait penser aux excellents romans d’Adrian McKinty que sont La Chaîne et Traqués, avec ces perturbations d’un quotidien banal basculant soudainement dans l’inconnu. Karim Leklou dépeint de manière très juste et réaliste le glissement de cet homme, qui va perdre l’ensemble de ses repères et de ses croyances lorsqu’il va voir le vernis social se craqueler chaque jour un peu plus. Stéphan Castang va s’appuyer sur cet acteur pour créer une atmosphère passant de l’absurde au glaçant, grâce à une mise en scène d’une maîtrise bien plus grande que ce qu’elle laisse croire au départ. On a une sensation de dérive un peu anarchique, mais la caméra de Castang est d’une précision implacable, comme le démontre la séquence avec le voisin de l’immeuble d’en face. Cette façon de bouger la caméra pour se retrouver pile dans l’interstice où on aperçoit au loin l’individu, ça n’a l’air de rien, mais c’est avec ce genre de détail que Vincent doit mourir devient un film très impactant.

Stéphan Castang va user de séquences généralement brève mais très intenses, comme celle du feu rouge qui va créer une très forte tension d’un seul coup, avec cette façon de filmer les regards et cette séquence d’action très ramassée qui possède pourtant un fort impact. C’est assez déstabilisant d’avoir une montée aussi rapide du stress et une fin aussi brutale des séquences, ce qui va paradoxalement garder le spectateur en tension pendant la majeure partie du film. Stéphan Castang va avancer par petites touches vives et impactantes pour conserver Vincent et le spectateur dans cette ambiance paranoïaque, et le résultat est franchement excellent. On se retrouve dans une sorte de relecture de films de zombies ou d’infectés, mais qui possède sa propre originalité et sa propre force, et honnêtement je n’ai jamais vu un film se rapprochant de cela. Castang va même apporter une certaine poésie très sombre avec le personnage de Margaux, qui est elle aussi jouée par une actrice très talentueuse, Vimala Pons (qui pour l’anecdote, a joué dans Vincent n’a pas d’Ecailles ^^). La relation entre Vincent et Margaux va s’avérer très compliquée à gérer, mais on a tellement envie qu’elle fonctionne ! Les 2 acteurs vont réellement donner de leur personne dans cet univers de violence progressive, et ils s’avèrent vraiment touchants dans leur tentative de s’apporter mutuellement un peu de lumière.

l’originalité du propos tient aussi dans la source de la violence, puisque c’est le regard de certains individus qui va déclencher soudainement ces éclats. La mise en scène de ces moments est bien stressante, et Vincent va commencer à fuir le regard des gens, car la plupart va se figer et se mettre à l’attaquer. On est dans une sorte de rage sociale inexpliquée, de film de SF étrange, ou de film d’infectés? En fait, c’est un mélange de tout cela, et qui ne va pas perdre de temps à chercher une explication, mais qui va plutôt donner la priorité à la survie des protagonistes. Ce jeu sur les regards est génial et va forcément donner lieu à des scènes où le stress va monter en flèche, et le principe est aussi simple que redoutable !

L’impact graphique des scènes de violence s’avère très fort, et on va garder en tête des séquences que l’on voit rarement dans le cinéma français, et ça fait vraiment du bien de ressentir ça ! La scène sur le champ d’épandage va être bien dégueulasse, et m’a fait penser à cette séquence bien puissante de combat dans la boue dans la saison 2 de Gangs of London! Stéphan Castang renvoie les personnages à leurs pulsions archaïques, chacun devenant une esquisse d’être humain lorsqu’ils plongent de plus en plus dans la boue et la merde, littéralement… Vincent doit mourir est un film unique en son genre, qui mérite vraiment d’être découvert et qui souligne une fois encore (après Vermines notamment!) que le cinéma français est capable de proposer des récits qui laissent une trace durable dans les cerveaux ! 😉

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A l’Automne, je serai peut-être Mort (Adrian McKinty, 2003)

Je viens à peine de découvrir l’existence de cet excellent auteur irlandais, et j’enchaîne ses oeuvres sans pouvoir m’arrêter. Après avoir dévoré Traqués puis La Chaîne, je me suis lancé dans un projet un peu plus ambitieux, en m’attaquant à sa trilogie Michael Forsythe qui court de 2003 à 2007. J’ai terminé il y a quelques jours le premier tome et je n’ai pas pu m’empêcher de déjà bien avancer dans le second ^^ Ce premier roman dédié au jeune Michael Forsythe possède un titre à la fois sombre et poétique renvoyant à une chanson de F.E. Weatherly, Danny Boy, datant de 1910, qui contient la phrase « Dead I will may be », qu’Adrian McKinty utilise pour donner son titre original à ce roman. La traduction française est donc légèrement plus poétique en se nommant A l’Automne, je serai peut-être Mort.

Je ne savais pas du tout dans quoi j’allais m’engager avec cette trilogie, mais je me doutais que l’on s’éloignerai de l’urgence et de la radicalité de Traqués et de La Chaîne. Le roman démarre sur la vie d’un jeune Irlandais d’une vingtaine d’années, qui va devoir quitter son pays natal et émigrer aux Etats-Unis, ce qui est un parallèle amusant avec la trajectoire de l’auteur lui-même, né à Belfast à la fin des années 60, et débarqué à New York où il aura vécu près d’une dizaine d’années à Harlem. J’indiquais que McKinty se laissait davantage aller au niveau du rythme, mais il possédait pourtant déjà un sens certain de l’épure, puisque la partie irlandaise pour brosser les origines du personnage se fait en 8 petites pages, et qu’ensuite Michael Forsythe débarque directement à New York, dans un chapitre intitulé Un jeune Blanc à Harlem, titre qui résume avec amusement ce qu’il avait dû vivre à son arrivée dans les années 90 ^^

Michael Forsythe débarque donc en territoire inconnu, avec en guise de lointain lien une cousine dont le beau-frère lui trouverait un travail aux USA. Michael va rapidement se retrouver embrigadé dans la mafia irlandaise sévissant à New York, et ce bouquin commence très rapidement à prendre des airs de Scorsese qui aurait troqué les Ritals pour des pâturages plus verts ! Et le résultat est très rapidement captivant, avec la mise en place d’une hiérarchie de ce petit microcosme ainsi qu’une radiographie très intéressante de la New York des années 90. On va passer pas mal de temps à se balader dans la Grosse Pomme comme si on y était, et McKinty n’a pas son pareil pour nous abreuver de détails pertinents qui vont nous faire réellement nous sentir dans cet autre lieu et cette autre époque, à renforts d’éléments sonores, visuels ou olfactifs, et on va plonger avec délice dans la vie de petite frappe de Michael.

Le boss se fait appeler Darkey, et les hommes de main que sont Fergal, Scotchy et Andy vont chacun posséder leur propre personnalité, ciselée avec efficacité et précision par l’auteur, et c’est en cela également que l’on se rapproche d’un film de Scorsese. On plonge dans les méandres du trafic à New York et on va y croiser un panel bien hétéroclite, qui entre bassesse et héroïsme, va nous dévoiler un pan social très intéressant. Le hic pour Michael, c’est qu’il a un faible pour Bridget, la nana du boss, et qu’elle l’apprécie bien aussi d’ailleurs. Cette situation dangereuse risque de causer sa perte, et cet aspect va être constamment ancré en filigrane dans le déroulement du récit, alors qu’il y a déjà d’autres sources de risques liées à son métier.

Adrian McKinty possède un talent réel pour nous faire aimer des personnages forts et pas forcément binaires, la preuve avec ce Michael Forsythe possédant un bon fond mais étant également adepte d’une certaine violence. Le passage du pack de six, une sorte de vengeance à l’arme à feu particulièrement tordue, démontre la propension de Michael à user des armes, et ce mélange de tissu social communautaire et d’accès de violences donne une aura forte à ce livre, qui s’inscrit dans une veine du polar 90’s de manière très efficace. Et quand on croit qu’on est solidement installé et prêt à tout englober, on est soudainement délocalisé au Mexique pour une longue séquence à laquelle le lecteur doit se réadapter, tout comme devra le faire ce pauvre Michael par ailleurs … Je ne vous dévoilerai pas les tenants et aboutissants de cet excellent roman, mais je peux encore vous donner envie avec quelques phrases piochées au hasard, témoignant de la qualité du style de l’auteur (ainsi que de celle de la traductrice, Isabelle Arteaga).

« Je vis à Harlem dans la 123ème rue, au coin de l’avenue d’Amsterdam, tout près de la zone de sécurité de l’université Columbia. Là, le quartier prend le nom de Morningside Heights, pour que les parents des étudiants ne s’affolent pas, ce qui arriverait à coup sûr s’ils devaient adresser leurs lettres à Harlem. Mais c’est bien dans ce foutu ghetto que je me trouve. »

« Le vrai problème, ce sont les cafards. Je suis là depuis le mois de décembre de l’année dernière, et la guerre entre nous n’a pas cessé. Je ne suis pas encore habitué à leur présence. Je n’ai pas atteint la tranquillité zen qui me permettrait de partager avec eux le même territoire matériel et métaphysique. »

« Le problème, c’est qu’avec nos revolvers, nous n’avions guère de chance de tirer avec efficacité sur l’adversaire sans nous exposer. Avec une mitraillette, on peut arroser au hasard, mais une arme de poing a besoin d’une cible précise. Je m’étais dit, et Scotchy était tombé d’accord avec moi par télépathie, que ces types à l’équipement lourd allaient ouvrir le feu dès qu’ils nous verraient, que la lueur des détonations nous montrerait où ils étaient, et qu’on pourrait ainsi les éliminer à coups de pistolets. »

McKinty est un auteur terriblement efficace, et si vous aimez les récits de mafieux, je ne peux que vous conseiller ce livre, en attendant de vous parler du second tome 😉

 

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La Chaîne (Adrian McKinty, 2019)

Imaginez. Votre enfant se fait kidnapper un matin à son arrêt de bus. Le seul espoir de le retrouver : payer 25 000 dollars de rançon. Ca, c’est pour la partie facile. La seconde partie: vous devez kidnapper un autre enfant. Attendre que les parents paient eux-mêmes leur rançon, et qu’ils kidnappent également un enfant. Voilà le cauchemar perpétré par la Chaîne depuis longtemps …

J’avais donc fait la connaissance d’Adrian McKinty avec l’excellent Traqués, et j’ai vite réalisé que La Chaîne était son bouquin le plus renommé et ayant gagné le plus de prix. Je me le suis donc procuré alors que Traqués était encore chaud, et je n’ai pas été déçu! McKinty n’a pas son pareil pour nous plonger dans des situations totalement tordues et désespérées, et il le fait avec un sens de l’épure assez dingue ! La preuve, voici les premières lignes de ce livre : « Assise à l’arrêt de bus, elle regarde ses likes sur Instagram et ne remarque même pas l’homme armé d’un pistolet qui s’approche – jusqu’à ce qu’il soit presque à côté d’elle. » On a rarement connu entrée en matière aussi franche et dénuée de fioritures, et c’est une des composantes de l’écriture de McKinty qui fait sacrément plaisir! l’auteur irlandais nous plonge sans préparation aucune dans ce récit torturé qui va nous mettre face à nos propres démons, en nous demandant en filigrane ce que nous aurions fait dans une situation similaire…

Rachel est une mère célibataire ayant vaincu le cancer une première fois, mais son médecin semble avoir de mauvaises nouvelles à lui annoncer. En se rendant à son RDV médical, l’importance de sa propre vie va immédiatement passer au second plan quand elle reçoit un appel d’un membre de la Chaîne, qui lui explique la situation et les conditions qu’elle doit remplir afin de retrouver sa fille Kylie. Le cauchemar lui tombe dessus directement, et elle va mettre toute une machinerie interne en branle afin de modifier la vision qu’elle avait jusqu’à présent de ses propres capacités, et les adapter à cette situation totalement inédite. Rachel va devoir trouver 25 000 dollars très rapidement, mais surtout, elle va devoir concocter un plan pour kidnapper un enfant.

Comme pour Traqués, je ne vais pas pouvoir aller beaucoup plus loin dans l’énoncé des événements car ce serait dommage d’en apprendre trop avant de vous plonger dans la lecture de cet excellent roman! Le principe est totalement machiavélique et ressemble à ces fameuses chaînes de lettres que l’on devait faire suivre lorsqu’on était gamin, avec un degré légèrement moins létal à l’époque bien sûr ! A travers Rachel, ce sont nos propres choix que l’on va analyser, car dans une situation aussi extrême, que serions-nous capable de faire pour sauver notre enfant ? En temps normal, l’idée de kidnapper un môme ne nous viendrait jamais à l’esprit, mais si c’est la seule solution pour retrouver son propre enfant, alors ce projet devient soudainement obligatoire … Et Rachel veut à tout prix sauver Kylie .

Adrian McKinty use d’un style très direct qui fait de ce roman une aventure haletante que l’on n’a pas envie de laisser traîner sur le canapé. A la fin de chaque chapitre, on a envie de poursuivre afin de savoir si Rachel réussira, et afin de comprendre les enjeux et la stratégie derrière la Chaîne . Qui sont les gens capables de torturer aussi cruellement des familles au point de leur demander de réaliser des actes aussi impensables et ignobles ? Je ne peux que vous conseiller de plonger dans ce roman à la fois captivant et stressant, et en partie dérangeant car il nous met dans une situation de choix cornélien des plus difficiles !

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Vincent Lapierre : Mayotte dans la tourmente migratoire

J’avais suivi de loin ce qui se passait sur l’île de Mayotte, avec quelques reportages assez courts qui nous montraient des séquences de violences choquantes, mais l’immersion proposée par le journaliste Vincent Lapierre est unique, puisqu’il va aller à la rencontre de toutes les populations vivant sur le territoire. On aurait tendance à croire que l’on est à l’étranger tant l’ordre n’y est plus respecté, et Vincent rappelle très régulièrement qu’il circule dans un département français, mais que celui-ci est totalement laissé à l’abandon par le gouvernement. La situation est à peine croyable, et ce que vivent les Mahorais est terrible. Et de l’autre côté du miroir, on a des migrants qui vivent dans une misère indescriptible… Le témoignage de Derrick est inconcevable et déchirant… Et lorsque cette femme donne son prénom, ça fait vraiment mal au coeur… Où sont les associations humanitaires bien-pensantes pour aider ces personnes déracinées ???

Je ne comprends pas qu’après toutes ces années à parcourir la France, Vincent Lapierre puisse encore être insulté d’être d’extrême-droite. Il fait tout le boulot que tous les gens de gauche devraient faire, et il le fait avec une profonde empathie et une vraie éthique professionnelle. Un grand merci à lui de prendre tous ces risques pour nous confronter au réel, sans le passer par aucun filtre idéologique! Je vous mets ici la 2ème partie du reportage qu’il consacre à Mayotte, mais je vous invite bien sûr à aller sur sa chaîne regarder la partie 1, en attendant la suite, car ce n’est pas terminé…

 

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Jack Uzi – Uzi Drill 9 (Freestyle)

Jack Uzi, c’est un Ch’ti gars du Nord (code postal 02880 ^^) qui laisse traîner sa langue un peu partout, ce qui donne lieu à des punchlines relativement savoureuses et salées ! Evidemment il ne faut pas mettre ça dans toutes les oreilles au risque d’atteindre gravement le cerveau, mais ça fait du bien cet humour noir décérébré dans une époque où chaque phrase est passée au tamis de la bien-pensance ! Alors oui Jack va très loin, parfois même trop loin, mais c’est un électron totalement libre qui se place comme un incontournable dans le rap game français !!! Je vous mets ici un de ses clips, et aussi sa vidéo de candidature à l’érection présidentielle de 2022! ^^

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